Tous les chemins mènent à Rome... Au sein des musiques "dures", la carrière des groupes à succès suit à de rares exceptions près la même trajectoire. Des débuts scotchants, violents et viscéraux, qui leur permettent de jouir très rapidement d'un statut de messie, de grosses premières parties, la signature sur un label réputé puis chez une major, les tournées qui ne se font plus à perte et dans des vans pourris, le luxe de pouvoir lâcher son taf alimentaire pour pouvoir se consacrer pleinement à sa passion... Et après, on fait quoi? L'épanouissement personnel, la sérénité relative quant au futur, mènent quasi systématiquement à un adoucissement de la musique. A partir de là, deux voies possibles. Qu'un groupe s'adoucisse avec le temps, pas de problèmes, tout dépend du chemin qu'il se décide à emprunter. Soit il se veut encore plus gourmand et se met à sortir des merdes calibrées pour maintenir ou élever son train de vie, soit il profite de son statut pour concrétiser ses ambitions. Et Mastodon se range du côté des derniers.

Tes mi-barbus/mi-psychobillies préférés ne cherchent même pas à le cacher et en causent naturellement, ils n'ont plus la rage qu'ils avaient à évacuer du temps de leurs débuts. Et ils s'en contrefoutent, se considérant plus comme un groupe de rock que de metal. En effet, comment pouvoir qualifier l'évolution des Ricains de commerciale? Parce que les voix d'ours se sont fait la malle en même temps que les riffs de quinze tonnes? Parce que les lignes de chant n'ont jamais autant dorloté nos tympans? Parce qu'ils se sont acoquinés avec Brendan O’Brien (ACDC, Bruce Springsteen...) pour la production? A ce moment-là, pourquoi est-ce qu'ils se seraient vidés un chargeur dans le pied en pondant un concept-album de plus, qui boucle leur quadrilogie des éléments (plus forts qu'Earth, Wind And Fire, t'as vu?)? Pourquoi avoir composé leurs titres les plus progressifs, et avoir calé deux fresques épiques (sur sept titres) de plus de dix minutes qui remplissent à elles-seules la moitié de la durée de "Crack The Skye"? Oui, la bête s'est calmée, mais la démarche est sincère et réfléchie.

Le hic, c'est que même si j'ai énormément d'affection pour les boys d'Atlanta et les considère toujours, avec Meshuggah, comme les locomotives metal les plus intéressantes et influentes de notre époque, leur attitude et leur discours actuels m'ont plus convaincu que la musique. Le prog ne m'a jamais fait mouiller (et je remercie le Dieu du bon goût pour ça), mais le prog' vu par Mastodon sur "Blood Mountain", si. Certes trop bavard techniquement, comme leurs potes de Mars Volta, mais couplé à un foutu talent d'écriture, cela rendait le truc époustouflant. Et ce qui pèche le plus sur "Crack The Skye", c'est que la faculté de concision et les circonvolutions époustouflantes de son prédécesseur ne sont plus. Manque de moments de bravoure, même Brann Dailor se fait plus discret dans le mix, et s'évite de claquer quinze fois le tour de son kit en un battement de paupière. Bon, au moins il causera moins de suicides de batteurs.

Reste que Mastodon est, à l'instar d'un Dillinger Escape Plan, l'un des rares groupes à avoir su négocier un virage plus FM (du Fielleux au Mielleux?) avec autant de talent. Et "Crack The Skye" de par ses titres à tiroirs, sa finesse mélodique, sa richesse de composition, son incroyable sens du détail, d'être l'album le moins immédiat de leur carrière. Ce qui transparaît incontestablement, c'est que les gaillards se sont fait plaisir, jouant plus que jamais la musique qui leur tient à coeur (Skye renvoyant à la soeur de Brann Dailor, suicidée à 14 ans). Et qu'ils sont plus à l'aise que jamais avec leurs instruments. Y compris leurs cordes vocales, plus besoin d'inviter Cedric Bixler ou Josh Homme, chez Masto y'a tout ce qu'il faut. Même Brann Dailor pousse désormais lui aussi la chansonnette, on se la joue Beatles du metal, tout le monde s'y met, et exit les gueulantes bourrues donc, hormis quand c'est l'habitué des lieux Scott Kelly qui s'en mêle sur le titre éponyme. Les chants de Troy Sanders et Brann Dailor, très limpides, n'ont pas dû manquer de faire tiquer quelques paires d'oreilles au début; par contre Brent Hinds se révèle particulièrement jouissif avec son organe (mange le refrain d' "Oblivion" et on en reparle), avec ce timbre d'amateur de Gitanes Maïs d'une chaleur et d'une bienveillance renversante.

Concept-album oblige, les titres tournent autour de la vie d'un autre barbu mais moins bienveillant (Raspoutine), et voit s'entremêler à l'univers de la Russie tsariste, cette dimension mystique récurrente si chère au groupe. Même si les moments vraiment mémorables sont moins légion qu'auparavant, "Crack The Skye" comprend son lot de gros morceaux (le single "Divinations" est... divin!), et les adjonctions de plans au banjo ou au mellotron se révèlent rafraîchissantes. Là où n'importe quel groupe se serait fait conspuer en s'enfonçant dans les proggeries avec un concept et un artwork aussi casse-gueule, Mastodon impose sa classe. Enfin un groupe contemporain que l'on pourra présenter fièrement à nos gosses.


Rédigé par : Crown_Me | 15,5 pour du Masto, 18 comparé à la concurrence./ | Nb de lectures : 15933