Mastodon. Le nom du groupe m’a toujours fait sourire car on dirait qu’il a été choisi par une bande de lycéens en manque de sensations fortes: «Parce que, tu vois, on hésitait entre Mastodon et Dinosaur, mdr, et la Walt Disney Company avait déjà déposé Dinosaur pour un dessin animé, lol!»
Mais on ne va pas s’arrêter à si peu, quoique si on regarde les pochettes du groupe, on a toujours droit à la thématique du bestiaire du bizarre entre le cheval en feu de Remission, le cachalot chanmé de Leviathan et, ici, le certigre énervé mais amoureux de la nature. Pourtant cet artwork typique du groupe annonce déjà la couleur: on a encore droit à du Mastodon bien roots, du vrai.
Penchons nous ensuite sur la rigueur sémantique du groupe par le biais des titres d’album. Après un Leviathan qui ne mentait pas sur la marchandise, le groupe nous gratifie d’un Blood Mountain annonciateur: c’est du lourd, du pesant qui nous attend et qui va nous tomber sur le coin des oreilles.
Car, c’est sûr, c’est du gros, c’est du gras, c’est du Rock cet album! Bien entendu, il n’y a pas que ça car, même si on connaît la bête, on sait qu’elle reste sauvage et indomptable et que l’album va être dur à digérer. Fini la petite salade de tomate, grillades, merguez de l’été. On sent arriver l’hiver et on commence à se bâfrer avec du riche, du consistant, du ‘roulé charcutier’ et on ressort presque écœuré après ce gargantuesque repas.

Première écoute. On est rassuré mais en même temps vraiment embarrassé. Cet album échappe totalement à l’analyse méthodique et rigoureuse, on s’éloigne des schémas traditionnels de la musique, et tenter une réflexion sur ce que l’on écoute annihile immédiatement le charme de l’album. Pas moyen de se faire une thèse, antithèse, synthèse de rigueur ou d’élaborer un plan thématique frelaté. Car pour décrire l’album et mon ressenti, j’aurais pu vous sortir plein de slogans idiots et réducteurs du genre « Mastodon, ça donne » (pour Rock Sound) ou, mieux encore, « la continuité dans la différence » (pour les intellos des Inrocks). Mais comme je l’ai déjà dis, le charme n’opère plus dès que ce sentiment, cette magie musicale, est couché sur clavier.

Rassuré. Dès les premières notes, on se retrouve face à ce son gigantesque, face à cette patte inimitable et velue, on se laisse immerger dans ces ambiances génialement élaborées. Mastodon arrive une fois de plus à faire du neuf avec du vieux, à exploiter toute la richesse musicale rock pour faire un vrai bon album. Car même s’ils n’ont pas inventé la poudre, ils savent la faire parler sous la forme d’un feu d’artifice musical issu d’un savant dosage entre explosions retentissantes, couleurs chatoyantes et perlimpinpin magique. Pour cela, pas de tour de passe-passe, juste un solide songwriting servi par un son époustouflant de clarté et de puissance. Les influences sont sensibles mais parfaitement digérées pour être recrachées, distillées par des musiciens géniaux. Pour les guitares, on pense aux grands noms du Rock (Gilmour, Blackmore, Zappa…), à Hendrix même. Les arrangements sont subtils, les morceaux excellemment pensés et mis en place: arpèges aquatiques, solos aériens puis rythmiques ronflantes ou boueuses, ambiances spatiales, tout cela avec une facilité déconcertante, un feeling impressionnant et un touché génial. Les mélodies sont savamment enchevêtrées, ficelées de doigts de maître et elles aèrent les morceaux au milieu de riffs pachydermiques et d’accélérations dantesques. Le batteur est toujours aussi impressionnant avec un jeu lisible mais totalement hallucinant de par la fluidité, la rapidité d’exécution, le groove et surtout l’utilisation parfaite et géniale de toutes les possibilités de son instrument. Et les voix! Toujours ces timbres rauques, rugueux, toujours ces mélodies rampantes, ‘mud-crawling crooners’ (yeah!) usés par le whisky et la clope. Excellents!

Étonné. Je n’aurais jamais pensé que Mastodon allait rééditer l’exploit de Leviathan.
Quand on écoute cet album, on glisse encore vers un territoire musical bigarré et coloré, on se retrouve enrobé dans des images car la musique de Mastodon parle à l’imagination, elle dessine des contours, des formes et les remplit de quelque chose de chaud, de vivant. Et ce n’est pas moi qui ai pris des hallucinogènes mais bel et bien ces musiciens déglingués… Car même si l’univers est connu, on reste dans l’imprévisible le plus total à cause de la densité, de l’originalité et de la consistance organique des morceaux. La musique ne reste pas figée, elle plane, plombe ou enfonce et ne se laisse pas approcher aussi facilement que dans Leviathan. Ils se sont définitivement débarrassés du carcan stoner-sludge dans lequel on les avait si facilement catalogués pour s’ouvrir et s’offrir à de nouveaux horizons musicaux, expérimenter de nouveaux arrangements, élaborer un album digne des plus grands…. Ainsi, ils laissent libre cours à leurs penchants ‘expérimentaux’ et cet album est une sincère déclaration d’amour au rock progressif des années 70. Ainsi, la technique sert le complexe et, au milieu de jams quasi psychédéliques, ils nous font le coup du disque rayé, de la voix cybernétique, des chants de sirènes ou alors ils nous gratifient d’un morceau complètement déglingué avec Bladecatcher. Nous sommes de ce fait tenus en haleine tout au long de l’album et celui-ci ne souffre d’aucun passage à vide.

Brut, puissant et subtil, complexe mais accessible… Blood Mountain est secoué par un incontrôlable tellurisme créatif et déverse son magma en fusion brûlant et magnifique. Le vénérablement roots est insufflé d’éléments foufous-modernes et la musique s’adresse aussi bien aux purs metalheads qu’aux djeunz qui aiment la musique patathrash.


Rédigé par : Jvice | 18/20 | Nb de lectures : 19149