MARILYN MANSON - Lest We Forget (Interscope) - 12/11/2004 @ 13h47
Comme ses prédécesseurs, ce Best Of divisera le public et la critique : entre les pro- et les anti-Manson, entre la ferveur et le mépris (parfois la haine), il faudra dépasser les clichés pour envisager le parcours du Révérend auto-proclamé.
Alors que l’ordre du CD évite habilement une chronologie rigoureuse, je vous propose une brève rétrospective sur les frasques du chouchou des ligues puritaines américaines.
D’abord en répétant l’évidence : Marilyn Manson est a-mé-ri-cain. Ce n’est ni une excuse ni un gage de qualité, c’est le contexte dans lequel évolue celui qui autrefois s’appela Brian Warner. Disons pour simplifier : la nation du paradoxe et du spectacle, 2 concepts que Manson entend bien personnifier et ce jusque dans son pseudonyme alliant le glamour et le sordide.
Ses débuts sous le nom de Marilyn Manson en 1994 sont plutôt anecdotiques : si l’on retrouve sur Portrait of an American Family certains des traits caractéristiques de la musique qu’il développera plus tard, l’album propose un rock vaguement agrémenté d’une touche synthétique assez fade et ne laisse pas augurer d’une suite très intéressante. En témoignent sur le CD les titres " Lunchbox " et " Get Your Gunn " qui ne suffiront pas à convaincre le public hors des USA. La formation du groupe comporte déjà son noyau dur : Marilyn Manson au chant, Twiggy Ramirez à la basse et Madonna Wayne Gacy aux claviers. Daisy Berkowitz à la guitare et Sara Lee Lucas à la batterie complètent l’affiche de la foire aux monstres. L’année suivante, le groupe sort Smells Like Children, occasion de présenter le nouveau batteur Ginger Fish et d’étrenner une pratique qui réussit bien à Manson et ses sbires : la reprise déviante. C’est sur ce disque que figurent les versions maladives de " Rock’n’Roll Nigger ", " I Put a Spell on You " et surtout " Sweet Dreams " (Seule chanson de ce disque apparaissant sur le Best Of).
C’est précisément cette dernière et le jouissif clip qui l’accompagne qui donneront de l’élan à la carrière du groupe, confortant également les détracteurs dans l’idée qu’il n’y a aucune création musicale intéressante et que la démarche se résume à une provocation creuse. Manson est alors perçu comme une baudruche qui peut retomber très rapidement dans l’oubli après un coup médiatique réussi.
Il est temps pour le groupe de se crédibiliser musicalement et c’est là qu’intervient Trent Reznor: en 1996 sort Antichrist Superstar, un album dur et sombre orchestré par l’homme à tout faire de Nine Inch Nails. Un travail énorme de production fait la différence sur de bonnes compositions et permet d’imposer une signature sonore autrement plus percutante. Twiggy jouera la majorité des pistes de guitare, parties qui seront ensuite exécutées sur scène par le nouveau venu Zim Zum. L’identité du groupe se dessine plus nettement tout au long d’un album riche et fort des morceaux très réussis que sont " Tourniquet ", " The Reflecting God " et " The Beautiful People " (pour ne citer que ceux qui figurent sur Lest We Forget, le second aurait à mon avis pu être remplacé par d’autres chansons). Le thème de l’album est l’éclosion et la musique est en parfaite adéquation avec cette idée de révélation. Le titre lui aussi sera une mise au point sur la démarche de Manson : la religion y sera vilipendée et le Révérend utilisera une imagerie satanique pour mieux représenter le refus d’une autorité morale " supérieure ". Manson bénéficie immédiatement - et gratuitement - des services d’innombrables équipes de promotion devant ses concerts : les ligues chrétiennes viennent mettre en garde les jeunes âmes menacées par la séduction du Malin. Mais les jeunes âmes ont payé leur place et n’entendent pas se priver du spectacle de leur idole… Marilyn se frotte les mains et en rajoute entre les chansons : la bible y est abondamment commentée, Manson exhortant son public à penser par lui-même sans se laisser imposer les schémas de moralité des générations précédentes. En parallèle, devant le mimétisme de certains de ses fans, Manson commence à avertir son public que tout est faux en lui. Evidemment, on prononce souvent le nom d’Alice Cooper, mais Manson ne veut pas n’être qu’un personnage qui disparaît en sortant de scène, il entend bien se révéler comme un individu à multiples facettes, à l’instar d’un David Bowie.
En 1998 sort Mechanical Animals qui surprendra à la fois le public et la presse. Marilyn se présente sur la pochette en androgyne immaculé, comme pour mieux rompre avec l’esthétique gothico-trash-fétichiste qu’il cultivait jusqu’alors. La rupture se vérifie aussi musicalement avec les accents glam rock de chansons beaucoup plus accessibles. Immédiatement Manson sera accusé de se vendre à MTV. On parlera à tort de l’arrivée de John 5 à la guitare comme facteur de changement (l’album était déjà composé) alors que les raisons de ce bouleversement sont plutôt une volonté de ne pas se laisser enfermer dans l’image exploitée jusque là. Sur le Best Of, les titres " The Dope Show " et " Rock Is Dead " dévoilent un visage beaucoup plus commercial, mais la notion de représentation est toujours là et s’enrichit d’une ironie sous-jacente, particulièrement présente dans les rapports qu’entretient Marilyn avec son audience pendant les concerts : Manson s’y livre à une démonstration absurde des mécanismes de la propagande et de la manipulation des masses, s’appropriant une imagerie copiée sur celle du III° Reich. Evidemment, tout le monde ne perçoit pas l’ironie et cette incompréhension donnera lieu à des malentendus : certains accèdent à leur insu à un autre degré dans l’absurde en accusant Manson de glorifier l’idéologie liée aux symboles sans imaginer un instant que le Révérend récupère plutôt la pantomime du Dictateur de Chaplin.
Manson prouve qu’il s’affirme encore plus en brouillant les pistes.
Le groupe sort alors le live The Last Tour On Earth en 1999, marquant une étape dans le cheminement du groupe. Un disque sans surprises qui prouve toutefois que le groupe est tout à fait capable de restituer sa musique sur les planches, mais je doute que le disque ait convaincu beaucoup des détracteurs de Manson.
La sortie de Holy Wood en 2000 sera accueillie comme un retour à une esthétique plus dure, tant musicalement que visuellement. Malheureusement, malgré l’efficacité de titres comme " Disposable Teens ", " The Love Song ", " The Fight Song " ou " The Nobodies " (présents sur Lest We Forget), l’album ne brille pas par son originalité et semble plutôt être l’occasion de tirer le meilleur parti de formules déjà éprouvées. Disons que Manson consolide sa base de fans mais n’apporte rien de neuf.
Puis en 2002 la nouvelle est annoncée : Twiggy (bassiste de la formation depuis ses débuts) quitte le groupe. Les raisons invoquées seraient d’ordre musical, toutefois on raconte également que la popularité grandissante de Ramirez faisait parfois de l’ombre à Manson et qu’un conflit d’ego pourrait bien aussi être à l’origine de ce départ. De tous les changements de line-up, celui-ci est le premier à être réellement significatif musicalement (et pour l’équilibre du groupe). Twiggy retrouve son vrai nom et va rejoindre A Perfect Circle.
Peu après (toujours en 2002) sort le DVD Guns, God & Government. Bien plus que le live audio déjà cité, le DVD permet d’appréhender le concept du groupe Marilyn Manson : de l’emphase, une lecture à différents degrés, de la provocation comme fond de commerce, beaucoup de paradoxes et énormément d’absurde. Manson met en scène la société américaine, il la critique sans s’en détacher complètement. En cela il rejoint la démarche d’un Michael Moore et on ne sera finalement pas surpris de le voir apparaître dans le documentaire Bowling For Columbine, invité à donner son avis sur son hypothétique part de responsabilité dans le massacre de Littleton.
Le DVD live a l’avantage de mieux représenter le travail de Manson : une tentative pour parvenir à un spectacle global qui intègre la participation du public dans la mise en scène, et tant pis si tout le monde dans l’assistance ne prend pas de recul pour constater en direct l’application de méthodes visant à manipuler les foules.
En 2003, le groupe sort The Golden Age Of Grotesque sur lequel se confirme l’intégration de Tim Skold de KMFDM (il a déjà travaillé avec Manson sur la reprise " Tainted Love "). Skold a déjà un passé musical fourni (artiste, producteur…) et il apporte une réelle contribution à l’album. Les sonorités changent et l’arrivée du nouveau venu profite au groupe. Le groupe mise désormais également sur une imagerie " Berlin années 30 " vue par des Américains, c’est-à-dire les cabarets, la décadence et la montée du totalitarisme. Les titres " This Is The New Shit ", " mOBSCENE " et " (s)AINT " retenus pour le Best Of sont représentatifs de l’album : une volonté d’écrire des hit singles à la Manson en modifiant un peu la recette.
Le CD est accompagné d’un court-métrage sur DVD : Doppelherz. Pour la première fois depuis longtemps, Manson fait le choix d’une esthétique malsaine mais peu spectaculaire, à l’opposé des provocations grand-guignolesques auxquelles il nous avait habitués.
Début 2004, le départ de John 5 est annoncé, le guitariste se lançant dans une carrière solo.
Ce sera certainement l’occasion pour Tim Skold de s’affirmer encore un peu plus en tant que compositeur.
Alors que j’ai fait l’impasse volontairement sur certaines étapes de la carrière de Manson (cette retrospective rapide n’avait pas vocation à être exhaustive), on peut se demander quel est l’intérêt de ce Lest We Forget.
Pour les fans, je dirais " pas grand chose ", si ce n’est la reprise inédite de Depeche Mode " Personal Jesus " qui colle une fois de plus parfaitement à l’univers du Révérend, et le DVD accompagnant la version " De Luxe " puisqu’il regroupe tous les clips de Marilyn Manson à ce jour.
Pour les autres, la présence de 3 reprises sur 18 des supposés meilleurs morceaux fera sourire… mais ce disque sera sans doute l’occasion d’essayer de comprendre ce qui constitue Manson. A mon avis, la faiblesse dans la démarche du personnage c’est que la musique –quoique parfois très pertinente, mais somme toute vraiment trop inégale- n’est pas assez forte pour clouer le bec aux détracteurs qui pensent la surexploitation de l’image sert d’écran pour dissimuler une faiblesse musicale. Alors que les choses sont un peu plus compliquées, l’œuvre est conçue comme un tout : la musique, l’image, les messages (contre l’autorité morale, les différentes formes de totalitarisme, le consumérisme, l’aliénation de masse), le personnage lui-même et sa perpétuelle mise en scène médiatique. Manson reprend à son compte ce qu’il dénonce… pour justement le dénoncer de manière encore plus pertinente (c’est en tout cas ce qu’il semble espérer).
Maintenant, à vous de voir si vous pensez que cette démarche révèle un cynisme abject et facile ou si au contraire c’est une forme d’audace artistique… ou bien un peu des deux !
En tout cas la notion de paradoxe me semble inextricablement liée à l’œuvre de Marilyn Manson.
Pour ceux qui souhaitent aller un peu plus loin dans la découverte du personnage, outre son bouquin, je vous renvoie à Antichrist Superstar que j’évoquais un peu plus haut: son thème est celui de l’éclosion. Il est très révélateur que la première phrase de l’album soit : " I am so all-american I’d sell you suicide " (" Je suis tellement américain que je pourrais te vendre du suicide ").
Un résumé parfaitement limpide à mon avis !


Rédigé par : Playskull | Bestof/ | Nb de lectures : 10844




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Commentaire
Harry.Poppers
Membre enregistré
Posté le: 12/11/2004 à 14h22 - (11539)
Belle chronique! Je la trouve très juste. J'aime beaucoup ce que fait Manson mais j'avoue être assez dérouté par les "singles" pondus sur ses albums. Je lui préfère largement ses ambiances malsaines et déjantées dont il nous pond quelques bijoux sur chaque album. C'est un artiste qui tente d'évoluer mais qui se perd entre volonté de choquer/ de se racheter, envie de durcir sa musique/ créer des hits pour être connus de tous. Comme tu le dis très bien Playskull, Manson est un paradoxe. Mais je pense que si le rpochain album ne fait pas bouger les choses, Manson risque de tomber aux oubliettes. Pour moi, c un artiste qui est monté trop vite et a gaché le potentiel de son groupe en travaillant trop l'image. Quant à l'intérêt de ce best of, il est nul sauf pour le dvd avec l'intégrale des clips.

ldp
Invité
Posté le: 12/11/2004 à 19h05 - (11543)
ouiahh et ça fait la couv' de Hard Rock Mag, pfffouuuhhhhh, encore un rebelle de pacotille et un mag qui sais même plus comment il s'appel.
Aux orties !!!!

Slortar
Membre enregistré
Posté le: 17/11/2004 à 21h06 - (11623)
Bravo pour ta chronique PLAYSKULL, fine et pertinente. Je m'interesse à l'oeuvre musical du Révérend depuis Smells... et je doit avouer que sur ses albums, seuls deux ou trois morceaux sortent généralement du lot. Ce best of aurait pu être interessant si on les retrouvait dessus.

galder
Membre enregistré
Posté le: 12/02/2007 à 10h19 - (38360)
c est un best of quoi, rien d'exceptionnel, a part "personnal jesus", et quelques musiques du 1er album que je n'ai pas.
ce que j'aprécie c'est le dvd (logique).
j'aime beaucoup Manson, ce qu'il fait au niveau de sa musique, meme si maintenant, comme on le dit plus haut, il essaye de faire de tout et de n'importe quoi, tous les albums que j'ai de lui (tous sauf le 1er et le EP), je les adore, tous! je trouve les géniaux, je ne m'en lasse pas de les écouté, toujours un bonheur!
enfin c'est mon avis^^



Destroyer
IP:195.93.102.8
Invité
Posté le: 30/03/2009 à 14h25 - (69272)
Comme galer, j'ai tous les albums de Manson (y compris ce best-of, seulement acheté pour le dvd de clips) et je me lasse pas de les écouter !! (a part le dernier,bien sur)

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