MARILLION - Sounds That’s Can’t Be Made (EarMusic) - 09/11/2012 @ 09h29
16ème album*, 33 ans de carrière dans le rétroviseur et une présence toujours plus forte sur la scène rock classieux, voilà un bilan qui en impose. Faire encore l’événement de cette rentrée après tout ce temps n’est pas moins impressionnant et traduit bien le statut si particulier de la formation anglaise en 2012.

Aussi, dire que ce nouvel opus est attendu n’est pas une hyperbole gratuite. Après un "Something Else" déroutant et un "Happiness" bicéphale et inégal, on espère tous le retour du grand Marillion, celui de "Marbles" bien évidemment. Et à la première écoute de "Sounds That’s Can Be Made", on sent frémir l’onde au-delà même de toute prévision raisonnable eut égard au caractère quelque peu versatile de ses deux dernières productions.

Déjà le titre en forme de boutade ou de défi peut signifier que de nos jours certaines sonorités musicales ne sauraient décemment être soumises à nos oreilles. Si l’on pousse un peu plus loin cette analyse un brin capilo-tractée, cela voudrait dire que décidément, le progressif n’a pas (ou plus) sa place dans le contexte musical actuel où la consommation rapide de produits jetables est érigée en principe applicable à tout ce qui touche notre vie. La musique en étant un élément incontournable, elle ne fait pas exception à la règle.

Porte-flambeau bien malgré lui d’un rock progressif haut de gamme, il a en joué intelligemment. Tantôt en refusant toute étiquette, tantôt en acceptant le costume de digne descendant et représentant moderne de ce genre décrié par les bien pensants. Peu importe, Marillion a toujours su s’affranchir de ces considérations en menant sa carrière comme il l’entendait au risque parfois de surprendre ou d’en décevoir certains. Et depuis sa reprise en main heureuse par un Steve Hogarth de plus en plus inspiré, il faut avouer que près de 30 années plus tard, le navire a fière allure.

Preuve de cette maîtrise parfaite de son destin, le titre d’ouverture de "Sounds That Can’t Be Made", l’épique "Gaza" à n’en pas douter la masterpiece d’un l’album qui s’annonce copieux (74min). Quoi de plus significativement provocateur que de proposer un titre de 17min31s pour ouvrir un album ? Marillion serait-il devenu fou ou mégalo ? Pas le moins du monde bien sûr. Les titres longs sont nombreux dans sa discographie ("Neverland" – "The Invisible Man" – "Ocean Cloud" – "Goodbye to All That…This Strange Engine" etc). Dominant depuis quelques années déjà la production et la distribution de ses albums, ce choix délibéré n’est que le signe d’une indépendance et d’une liberté chèrement acquise et que peu de formation peuvent s’offrir.

Mais revenons à "Gaza" : inutile de tourner autour du pot, tout le monde sait où se trouve ce lieu et connaît la dramatique histoire qui s’y rattache. Pour Marillion, choisir un sujet si chargé de symbole n’est pas anodin. Même s’il n’est pas le plus engagé politiquement des groupes de rock (même progressif), il n’en possède pas moins une conscience qui le fait s’interroger sur les malheurs du monde en général et de certains de ces contemporains en particulier. Fussent-ils d’anonymes citoyens d’une terre lointaine et théâtre des pires turpitudes humaines.

Cependant, les paroles de Steve Hogarth évitent les clichés et les raccourcis faciles en se dispensant de donner des leçons ou de prendre arbitrairement position. De toute façon, il faut être né et vivre là-bas pour comprendre ce qui s’y passe réellement. Et quand bien même, peu de gens sont capables de l’expliquer sans parti-pris. Hogarth lui ne fait que suggérer une rapide et nécessaire solution pacifique. Sur ce plan, on ne peut que lui donner raison !

Côté musique, Marillion ouvre cette pièce majestueuse en installant immédiatement un climat pesant et évocateur comme pour nous prévenir de la charge émotionnelle qu’il tient à imprimer à un thème aussi grave. Des sonorités nouvelles font leur apparition : sons saturés, rythmiques lourdes. Cet ensemble agrémenté d’un chant aérien ou appuyé et de la guitare lyrique de Rothery habille ce que Hogarth et consort ont certainement composé de plus poignant et de plus beau depuis "Marbles". Difficile de se lasser de l’écoute d’un tel monument et à vrai dire, il en faut plusieurs pour en appréhender toute la profondeur et la richesse.

Le reste de l’album est une réussite à plusieurs égards ; d’abord il ressuscite l’esprit créateur et frondeur d’un groupe qui se moque des modes et des tendances. Ainsi 2 autres longs titres aux allures de pépites ornent ce nouveau joyau. "Montreal" (14min04s) qui est une magnifique déclaration d’amour à la ville et aux fans québécois qui lui ont réservé un accueil extraordinaire lors d’un récent passage. Puis "The Sky Above The Rain" (10min34s) qui démarre sur du piano délié avant de prendre son essor pour nous replonger dans l’ambiance feutrée, mélancolique et onirique d’un "Fantastic Place" ou d’un "You’re Gone" inoubliables.

D’autre part, les titres plus courts – "Invisible Ink" – "Lucky Man" ou la pièce au titre éponyme demeurent du grand Marillion où rien ne manque ; émotion, emphase habilement dosée, lyrisme, belles envolées ou plages apaisées menées par l’incontournable et génial Steve Rothery. Mention particulière également à "Power" et à son beat envoutant et qui a servi de tremplin d’essai réussi au lancement de l’album plusieurs semaines avant sa sortie.

Etant donné ce qui précède, la question que vous vous posez certainement est: "Sounds That Can’t Be Made" est-il du niveau de "Marbles "? Je serais tenté de vous répondre oui et même de rajouter qu’il lui est supérieur car plus dense mais franchement, est-ce si important ? Même boudées ou dénigrées sur l’instant, les productions de ce groupe hors du commun finissent par rencontrer un auditoire mieux disposé à mesure que le temps passe. Je vous laisse donc seul juge de cette appréciation. Toujours est-il que meilleur ou pas que la référence "Marbles", Marillion vient d’accoucher du meilleur album de rock progressif de cette année 2012. C’est en soi suffisamment éloquent pour n’en pas dire davantage !

*16 si l’on décide que "Less Is More" n’est pas vraiment un album studio puisque constitué de reprises acoustiques réarrangées.

http://www.marillion.com - 134 visite(s)


Rédigé par : Karadok | 18/20 | Nb de lectures : 16508




Auteur
Commentaire
vincesnake
Membre enregistré
Posté le: 09/11/2012 à 11h49 - (104539)
Quelle superbe chronique ! On peut dire que ça donne envie d'écouter l'album, d'autant plus que j'ai adoré "Marbles" à l'époque mais pas du tout suivi la suite.

kane
IP:80.14.103.152
Invité
Posté le: 09/11/2012 à 12h32 - (104540)
Ma-gni-fi-que album. Marillion vient de sortir une masterpiece. C'est un album de rock progressif moderne, mais qui sait puiser dans ses racines. La guitare saturée et les machines sur "Gaza" font presque penser à du NIN sur certains passages.

Aucun titre à jeter, 74 minutes qui passent finalement beaucoup trop vite, avec de vrais petits bijoux de composition (Gaza, Sounds that can't be made, Montreal, Invisible Ink) au milieu de titres formidables (Power, The sky above the rain, Lucky Man)

Belle chronique aussi, qui décrit parfaitement cette petite merveille de disque. Note amplement méritée.

lolo
IP:92.103.133.164
Invité
Posté le: 09/11/2012 à 18h48 - (104552)
Bon, à mon tour de me joindre à ce concert de louanges.
Voila le Marillion que j'aime, avec une sensibilité à fleur de peau, à la fois épique et délicieusement pop par instant (j'aime autant les périodes Hogarth que Fish, voire je préfère la 1ere pour ses "epic").
Pour les furieux, l'édition deluxe (sur leur site) est magnifique, même si pas donnée. Et puis quel soulagement qu'un disque où figure son propre nom (eh oui, je fais partie des furieux qui l'ont précommandé) soit aussi bon ! ça m'aurait fait mal s'il avait été du niveau de Somewhere Else (que je n'apprécie que TRES modéremment, pour rester poli...).

PS : marrant la côte d'amour que Marillion garde au sein de la communauté metal (à commencer par moi !), alors qu'on est vraiment très éloigné du genre !

Piet
Membre enregistré
Posté le: 10/11/2012 à 15h52 - (104561)

Album magnifique en tout points. Et perso, je préfère la période Hogarth à celle de Fish. J'ai toujours trouvé que le Marillion version Fish mordait un peu trop sur les plates bandes de Genesis période Gabriel même si la période Fish est très loin d'être dégueu !!!

@ Lolo: je me suis toujours posé la même question que toi. Et j'attribue l'amour de certains métalleux pour Marillion par le fait que ce groupe n'a jamais suivi des modes et a toujours eu une ligne de conduite intègre. En plus, comme Genesis, c'est un groupe qui a influancé pas mal de groupes de metal prog.




Fiatlux
Membre enregistré
Posté le: 14/11/2012 à 14h25 - (104616)
Beaucoup de mal à rentrer dedans... C'est bon, mais bon sang que c'est mou... Bon, Marillion n'a jamais fait dans le blast beat, mais ce que j'aime chez ce groupe c'est sa capacité mélodique et émotionnelle, qui là me laisse un peu de "Marble(s)" (un de mes préférés du groupe d'ailleurs...). Le déclic va peut-être s'opérer, avec le temps...

Joss
Membre enregistré
Posté le: 15/11/2012 à 20h16 - (104647)
Séduit aussi par ce disque dont je n'attendais rien. En effet, après la claque Marbles, j'avais été bien déçu par les deux albums suivants. Mais là je retrouve tout ce que j'aime chez Marillion.



Gort
Invité
Posté le: 25/11/2012 à 21h29 - (104861)
Excellent album! Digne successeur de Marbles sans pour autant l'égaler
A déguster sans modération.



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