Morgan Steinmeyer Hakansson est un gars sûr de lui. Très. Trop, même, puisque toute tentative de conversation avec lui se résume très vite à l'écouter soliloquer à propos de sa vision des choses en général, et de son groupe en particulier. L'expression « seul maître à bord » semble bel et bien avoir été inventée pour lui. Marduk est définitivement SON groupe, SA chose, et quiconque tente de se l'approprier (même en partie) se fait vertement éconduire. Tous ses lieutenants ou presque en ont fait la désagréable expérience – principalement Legion, chanteur de la formation durant 8 années, probablement devenu trop voyant, trop loquace sur scène, bref, pas assez « iveul », et virez-moi ce peigne-cul tout de suite, quelle horreur, on dirait qu'il prend plaisir à ce qu'il fait.

Qui eût cru, donc, que Morgan puisse un jour partager son jouet ? Et pourtant... Voilà déjà 5 ans que Mortuus, lui aussi seul maître à bord du projet Funeral Mist, s'est vu offrir le trône éjectable de frontman au sein de la formation scandinave. Dire qu'il y excelle est un doux euphémisme : Avec « Plague Angel » (2004) et plus encore le terrifiant « Rom 5:12 » (2007), en bonne partie grâce à son nouveau chanteur, Marduk semble avoir repris la place qu'il n'aurait jamais dû quitter : celle de leader indéboulonnable de la scène black Made In Sweden. Et ce n'est certainement pas « Wormwood » qui va mettre à mal cette hégémonie retrouvée. Mortuus y apparaît comme plus possédé que jamais. Ses cris, râles, et autres borborygmes suintent la fureur et la maladie. Même si bien sûr la musique n'a rien d'un concours, on peut sans conteste garder une place pour le bonhomme aux côtés d'Attila Csihar et de Niklas Kvarforth dans le trio de tête des vocalistes les plus dérangés du metal noir.

Dans sa grande mansuétude, et toujours depuis 2004, Morgan a délégué la production des oeuvres de Marduk à Magnus Devo Andersson, ci-devant bassiste du groupe et propriétaire de l'Endarker Studio. Ce qui avait plutôt bien réussi aux deux albums précédents s'avère cette fois-ci tout simplement miraculeux. Jamais le groupe n'avait sonné de la sorte. Rèche, rude, ultra-puissante, claire et pourtant si âpre, cette « mise en son » propulse les riffs de Morgan vers des sommets encore jamais atteints, et les seconde d'un son de basse qui cloue littéralement l'auditeur au mur. Imaginez le son de Steve Harris sur l'album « Killers » appliqué à un black metal pur jus... Impossible ? Du tout. Ridicule ? Pas davantage. Osé, certes, mais méchamment bien vu, puisque ce mariage a priori contre nature insuffle à « Wormwood » une assise sonore et une dynamique encore inédites dans ce créneau musical, et joue un rôle prépondérant dans le nouveau point fort de Marduk (ou le point fort du nouveau Marduk, c'est selon) : les ambiances.

Même si « Panzer Division Marduk » est probablement à ce jour le plus gros succès commercial du combo, Morgan a dû comprendre qu'un unique album basé quasi-intégralement sur la seule vitesse d'exécution suffisait largement à la discographie du groupe. Alors, il distille à l'occasion ses atmosphères létales grâce des armes bien plus pernicieuses que le blastbeat. C'est souvent l'indus qui s'y colle, comme sur l'album précédent où Arditi (le groupe, pas l'acteur) avait été mis à contribution, mais pas seulement. Le dépouillement et les sons moins saturés que la moyenne peuvent aussi participer au malaise. Pour preuve, le break de « Chorus Of Cracking Necks » et son concerto de cervicales brisées qui fait froid dans le dos, ou encore le martial « As A Garment », à l'intro tellement brute de décoffrage, qui clôt l'album de façon magistralement sombre. Bien sûr, les éternels excès de vitesse sont eux aussi de la partie à de nombreuses reprises - comment pourrait-il en être autrement ? - mais Marduk sait désormais alterner plus savamment les couleurs musicales afin de donner à chaque composition une identité forte.

Restait LA grande inconnue de « Wormwood » : comment Marduk allait-il remplacer l'excellent Emil Dragutinovic derrière les fûts ? Et comment ce Lars Broddesson sorti de nulle part ou presque, pourrait-il reprendre le flambeau derrière un prédecesseur aussi doué ? La réponse sera à chercher sur scène en ce qui concerne les anciens titres du groupe, mais pour l'heure, Broddesson participe lui aussi à l'effort collectif en mettant au service des nouvelles compos un jeu relativement simple voire parfois quasiment nu (c.f. l'intro vraiment étonnante de « As A Garment », oui, encore elle !), mais toujours efficace. Cette évidente marche arrière au niveau purement technique convient finalement très bien à la cuvée 2009 de Marduk et ne saurait en aucun cas faire figure de régression. Elle fait partie d'un tout, et ce tout est une véritable leçon de noirceur.

Il est évidemment un peu tôt pour dire si « Wormwood » comptera un jour parmi les albums majeurs du style. Une chose est sûre toutefois : il fait déjà partie des toutes meilleures réalisations de Marduk à ce jour. Combien de formations peuvent encore prétendre à ce niveau d'excellence au bout du onzième album studio ?


Rédigé par : Rahahaaz | 18/20 | Nb de lectures : 23900