LUX OCCULTA – The Mother and the Enemy (Maquiavel Music/Deadsun/Adipocere) - 24/02/2003 @ 10h38
Voilà qui n’est pas à proprement parler une nouveauté puisque originellement, « The Mother and the Enemy » a vu le jour en 2001. Toutefois, la récente sortie sur le label Maquiavel donne à présent lieu à une seconde fournée promotionnelle, ce dont personne ne va se plaindre car on ne peut pas dire que Lux Occulta aient outre mesure tiré à eux la couverture médiatique, et puis il est incontestable que cet album se devait de viser beaucoup plus haut qu’un relatif anonymat. Mais avant de se lancer dans un examen dans les règles de l’art, je désire tirer un beau coup de chapeau à ce petit label portugais qu’est Maquiavel pour son dévouement total au service de ses groupes. On est loin des grosses écuries et de leurs moyens toujours plus pharaoniques, mais à mon sens le travail investi dans l’accompagnement promotionnel de cet album va beaucoup plus loin que les sempiternels arguments de vente réitérés machinalement d’un CD à l’autre. A travers le contenu consistant et consciencieusement rédigé des fiches biographiques on mesure, non sans plaisir d’ailleurs, tout l’enthousiasme et la volonté de soutenir à 100% et avant tout le volet artistique, sans gruger la clientèle avec du matraquage marketing aux allures de boniment archi-convenu. Forcément cela donne un a priori positif, chose qui n’est toutefois pas indispensable, la qualité admirable de l’album se suffisant à elle-même.
Petit flashback sur le curriculum vitae de ce groupe Polonais, qui peut se targuer (ou plutôt se désoler) d’avoir sorti trois albums de black metal d’obédience symphonique absolument épatants pour leurs époques respectives, ceci sans avoir jamais éveillé plus d’attention que celle d’un cercle de fidèles et de quelques fanzines sans gros impact. Vivotant à l’ombre de Vader qui furent longtemps la vitrine unique cristallisant tous les regards et occultant les acteurs de l’ombre de la scène polonaise, Lux Occulta ont eu toutes ces années la détermination de persévérer et, surtout, d’affirmer leur indépendance musicale croissante quitte à se mettre même leurs rares aficionados à dos lorsque, avec le démentiel et naturellement méjugé « My Guardian Anger », ils amorcèrent un virage progressif très prononcé. Ayant fait de l’innovation libertine leur credo et du hors-normes leur jardin, quoi de plus naturel que de voir ces néo-architectes de la partition capricieuse faire un pas supplémentaire vers leur galaxie conceptrice arrimée bien à l’abri des regards et bien au-dessus des ambitions ordinaires.
Armés de ce « The Mother and the Enemy » à la genèse inimaginable, Lux Occulta ont désormais toutes les cartes en main pour poser leur sceau indélébile sur les esprits en recherche de périples osés et d’étincelles élitistes. S’essayer à un portrait académique de cet album déjanté jusqu’à la rupture conduit tout droit au suicide intellectuel et certainement à l’incohérence de l’expression. Il est plus sage d’avancer par comparaisons et métaphores avec péninsules descriptives lors d’exemples choisis. Précisons d’emblée que l’on est confronté à un véritable abécédaire stylistique passant en revue non pas une, ni deux, ni trois mouvances définies, ni même un melting-pot un brin exotique comme on en voit chez certains groupes fatigués des sonorités classées, mais un véritable catalogue dont tout sectarisme (ou presque) paraît pour ainsi dire exclu. Une alchimie touche-à-tout qui voit le groupe débarquer sur les archipels sonores les plus antéposés et, tel un caméléon, les coloniser à renforts de techniques de composition hétéroclites, toutes maîtrisées avec une aisance qui devrait écoeurer plus d’un diplômé de polyvalence. Si Lux Occulta resteront quoi qu’il arrive tributaires des rayons metal, on peine à entrevoir une colonne vertébrale qui courrait d’un morceau à l’autre. Déjà, le black metal est bien loin dans le rétroviseur, et pourtant c’est bien sa violence noire et son ignoble cruauté qu’on recense lorsque l’habillage des guitares s’offre en sacrifice à la vermine grésillante et se laisse plomber par les blasts chirurgicaux. Le vocaliste s’égosille comme aux plus belles transes démoniques des années 90, mais l’odeur qui flotte dans l’air n’est plus celle des sous-bois où se mêlaient la neige et le soufre… Non, l’odeur est plutôt celle d’un laboratoire en éruption, d’une éprouvette opaque au cœur de laquelle s’entrechoquent mille rémanences dans un chaos universel duquel on emporte ici un saisissant réalisme, là une kyrielle de questions et de doutes. Le courroux effroyable de Lux Occulta est-il emprunt de sincérité, ou est-ce le résidu d’un black metal de synthèse, d’une haine programmée sous vide ? Comme il est trop hasardeux de porter un jugement, gardons en mémoire l’excellence du trait et dirigeons nous vers l’aspect suivant : une science de l’instrumentation à la fois géniale, disciplinée et décapante.
Il est évident qu’aucune barrière n’a été dressée quant à l’éventail des genres dont Lux Occulta veulent s’approprier les sons et les pigmentations. Même si on amputait l’album de son épais tissu expérimental, il resterait salement barré et indescriptible, tant la nature des riffs et leurs tempos en appellent à une large variété de techniques. Pour la batterie on s’aventure de canardages serrés en roulements, frisés, arythmies et autres double-pédales qui honorent l’ensemble du spectre de tonalités et de possibilités de l’attirail. C’est un peu comme si toute une colonie de frappeurs se relayait derrière les fûts selon que le jeu se rapproche du black, du death technique, du jazz, du blues, du ska, des percussions ethniques, etc. La même ubiquité vaut pour les guitaristes qui sont capables d’ériger une muraille de terreur typiquement extrême comme de moduler leur riffing aux quatre coins d’une impressionnante palette de couleurs dont le mélange, tout de même bien dominé par une appétence de méandres progressifs, détonne et brouille la réception. Ainsi on pourra très bien voir débouler à l’improviste un solo vicieux et dissonnant, une forêt de pics de saturation inquiétants, ou une mélodie folklorique livrée en package avec une rythmique enjouée pour une impression d’interlude burlesque bien déphasé. Inutile de préciser que l’exécution de tous ces mouvements est nickel et les arrangements sublimés jusqu’à faire croire que sauter arbitrairement de partie en partie découle d’un processus naturel.
Le côté industriello-expérimental devient sur « The Mother and the Enemy » bien plus qu’un gimmick, mais un véritable art de vivre dans lequel le groupe n’hésite pas à plonger intégralement lors de morceaux entiers dédiés à l’électronique suivant des modèles qui feraient bonne figure sur une anthologie du trip-hop. D’ailleurs la métamorphose sur ces parties est tellement congénitale que même le micro est totalement abandonné à une incarnation parallèle, une chanteuse dont le timbre ténébreux et désenchanté s’adapte étonnamment bien à la somnolence tourmentée de la musique. Mais on retrouve également les machines à l’action dans les morceaux plus « classiques », constellés de bips en cascades, hululements fantômatiques, crépitements et autres artifices qui viennent se coller comme des rémoras sous le ventre de la musique, au début dérangeants, puis rapidement indissociables, tels une greffe difficile qui aurait finalement triomphé du rejet initial.
En fait la question qui se soulève d’elle-même à l’issue d’une écoute aussi multi-directionnelle qu’éprouvante, c’est « y en a-t-il trop ? ». En dépit de leur contrôle despotique sur les éléments qui soufflent sur leur musique, Lux Occulta n’ont-ils pas sous-estimé la capacité d’assimilation de l’appareil auditif d’un auditeur moyen ? Après mûre réflexion, je crois être en mesure de répondre que non. Certes les Polonais seront de par leur extravagance le chat noir des puristes et autres bien-pensants de la scène metal qui ne jurent que par des styles bien rangés, et de ceux-ci il sera inutile d’attendre le moindre laurier. D’un autre côté, si feu d’artifices pléthorique il y a, celui-ci a pour effet global de décupler le plaisir d’écoute alors qu’il aurait pu le diviser en autant de particules impossibles. C’est un véritable bonheur que d’être amené à naviguer à travers ce champ de météores, de décortiquer sa complexité et de témoigner de sa stupéfiante cohérence mélodique lorsque l’on remet le puzzle en ordre. Une fois habitué, le zapping d’une dimension à une autre devient routinier et on en redemande, guettant fébrilement les instants rares et étranges où le flux de la musique se retourne comme une chaussette pour passer en une microseconde du big-bang enragé à la fragilité touchante des interventions féminines minimalistes.
« The Mother and the Enemy »… Un événement insolite, puissant et génial, une ombre stylée dont les intersections infinies devraient forcer bon nombre d’apprenti-sorciers de l’avant-gardisme à lever un instant la tête de leur ouvrage, à se prosterner et à en prendre de la graine. Allez, histoire de vous aider à remettre de l’ordre dans vos idées (ou peut-être histoire de vous rendre encore un peu plus perplexe), voici un inventaire précautionneux et longuement réfléchi des artistes dont l’on peut isoler quelques caractères plus ou moins saillants tout au long de l’album : Darkthrone, Emperor, Samael, Meshuggah, Dark Tranquillity, Opeth, Death, Nocturnus, Oxiplegatz, Pain, Arcturus, Solefald, Edge of Sanity, Vader, Neurosis, Waltari, Mr Bungle, Pan-Thy-Monium, The Gathering, Porcupine Tree, Godspeed you Black Emperor!, Velvet Acid Christ, Chemical Brothers, Portishead, Björk, (new-)Ulver, Massive Attack… et bien entendu Lux Occulta !


Rédigé par : Uriel | 17.5/20 | Nb de lectures : 8638




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Commentaire
Joss
Invité
Posté le: 24/02/2003 à 13h29 - (2208)
Haa les chroniques passionnées d'Uriel...

J'avoue que l'expérience me tente, y a t'il un site ou l'on peut écouter quelques morceaux de ce disque ? Sinon j'espère que c'est dispo chez Holy ou Adipocère...

Uriel
Invité
Posté le: 24/02/2003 à 14h10 - (2210)
Erratum: à la ligne 2 de l'avant-dernier paragraphe il faut lire "surestimé" et non "sous-estimé". Les lecteurs attentifs auront corrgie d'eux-mêmes.


none
Invité
Posté le: 24/02/2003 à 14h11 - (2211)
houa la chronique !!!!!
putain tu etais inspirer !!!!

Pipul
Invité
Posté le: 24/02/2003 à 18h27 - (2212)
Voilà un disque qui peut se targuer de ne pas être commercial. En plus de cela, les musiciens de ce groupe explore un véritable patchwork d'influence et n'oublient pas les sonorité futuriste. L'alternance de passages hystériques et d'instants planants est un véritable bonheur. Magnifique, tout simplement.


Leiru
Invité
Posté le: 25/02/2003 à 00h58 - (2215)
Merci de cette précision cher "reflet de miroir" !:-) Mais peu nombreux sont les téméraires lecteurs ayant franchi le cap du premier paragraphe !!! Bon allez ... c pour rire (quoique quand même ... lol).

mydrin
Invité
Posté le: 26/02/2003 à 08h32 - (2229)
très déçu par cet album, c un peu tout et n'importe quoi, çà part dans tout les sens, je l'ai écoute +sieurs fois, impossible d'accrocher. Encore un de mes groupes préféré qui part en vrille........ ;-((

Gillou
Invité
Posté le: 26/02/2003 à 09h53 - (2231)
En tout cas, voila une belle chronique qui donne envie d'écouter, j'adore ce qui part dans tous les sens (écoutez donc pour ceux qui aiment aussi: empalot, carnival in coal, et dans un style un peu différent, coprofago)
Ce qui est sur, c'est que j'achèterais plutôt ce cd que le dernier astrofaes ;-)

Raumsog
Invité
Posté le: 27/02/2003 à 01h40 - (2241)
La chronique est pas spécialement objective, mais quand même, ça donne carrément envie d'écouter... Par contre j'ai toujours un peu peur de ces groupes un peu fourre-tout, j'ai souvent l'impression qu'à vouloir tout mélanger ils font tout mal et ils nous menent nulle part ... Ca reste vivant comme musique ? Je veux dire, y a une ame dans les morceaux ? Me tapez pas sur la gueule avec vos pancartes "Lis la chronique ducon", je veux juste etre bien sur de ce que j'achete ...

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