Si j'avais abordé Loits avec ses précédentes sorties, j'aurais vu des lecteurs hurler à la mort dans les commentaires. Il faut dire que le concept du groupe tourne depuis ses débuts autour de l'évocation des proches aïeux et reste figé sur la seconde guerre mondiale... quand les Estoniens combattaient les Soviétiques au côté des Allemands. Usant de costumes d'époque, le groupe pouvait porter à confusion sur ces intentions (hormis la claviériste déguisée en infirmière, grrr), malgré les dénégations officielles d'affiliation politique par son leader. Mais avec ce "Must Album", Loits démontre clairement que l'époque l'intéresse mais non l'idéologie. Les heureux détenteurs de l'édition limitée ont dans leurs mimines toutes moîtes des cartes à jouer représentant chacun des membres du groupe, avec l'histoire du personnage d'époque qu'il incarne dans cet album : fermier déporté, guérilléro estonien, fonctionnaire planqué, militant engagé dans la Wehrmacht, musicien déserteur, etc. Loits sort du cadre limitatif des militaires pour endosser des personnages souvent civils et très variés qui représentent six cheminements aux destins parfois radicalement différents. On en vient à regretter de ne pas comprendre l'estonien pour saisir l'intégralité du livret.

Après ce préambule, revenons à nos moutons. Loits existe depuis une dizaine d'années et s'impose désormais comme un poids lourd de la scène estonienne. "Ei Kahetse Midagi" est une pure bombe mais c'est bien "Vere Kutse Kohustab" en 2004 qui les fera mieux connaître grâce à une plus grande distribution du label lituanien Ledo Takas (Obtest). Depuis, le groupe est passé chez ses compatriotes de Nailboard Records, chez qui j'ai acquis l'album en édition spéciale. Je ne saurai pas vous dire si vous pourrez trouver ailleurs cette digibox avec les fameuses cartes, un autocollant et en bonus le EP "Mustad Laulud" contenant du matériel inédit, un album photo et un session report de l'enregistrement.

Depuis ses débuts, Loits pratique un style personnel et très rafraîchissant : le "militant flak'n'roll". Ce nom singulier vient de Mart Kalvet du groupe Herald, qui a associé le black/rock du sextet au terme "flak" qui désigne un canon anti-aérien. Et cela résume parfaitement Loits ; des morceaux globalement mid-tempo, rentre-dedans avec un groove monumental. Si vous fondez pour des groupes comme Disiplin, Khold ou pour le dernier Satyricon, vous pouvez trouver votre bonheur. A la différence que Loits n'est pas malsain comme Disiplin, mais clairement nostalgique. A l'autre différence que Loits propose des compos plus évoluées que le dernier Satyricon ou Khold (bisou les gars). Le groove est toujours présent, mais les neuf titres (treize pour la version limitée) comportent leur lot de surprises.

Difficile de ne pas headbanguer quand on est pris dans la tourmente des rythmiques lourdes de "Emaraud", du mélodique "Peegli Ees" ou bien de "Ei Kahetse Midagi" qui s'arrête brusquement pour laisser valser le bien-nommé et mélancolique "Veealune Valss". Le jeu puissant mais tout en nuance du batteur Atso (également dans Metsatöll) ajoute beaucoup, avec son jeu sur la ride et ses patterns toujours bien trouvés. Sa mise en place devrait plaire aux amateurs d'Enslaved, dont finalement Loits se rapproche sur un thème : affilié au black à ses débuts, le groupe a développé son style propre et il continue sa perpétuelle évolution.

Au rayon des nuances avec ses prédécesseurs, je trouve ce "Must Album" bien moins engagé et rentre-dedans. Le chant clair déformé de "Suudelda Neidu" peut surprendre, mais il donne une ambiance fantomatique, encore appuyée par le clavier éthéré sur le refrain. L'album contient d'ailleurs pas mal de voix claire, qui est très réussie, et qui marque une étape dans la carrière du groupe. Loits est descendu du tank pour s'arrêter au bord de la route et entrer dans la vie qui l'entoure. Il faut donc un temps d'adaptation et de re-découverte du groupe avant de se laisser porter par ses mélodies. Mais le voyage est plaisant à faire car les titres sont efficaces et prenants. Une impression de forte mélancolie se dégage des morceaux, comme si on tournait les pages d'un album photo de gens depuis longtemps disparus. Il n'y a pas de haine dans ces plages, mais un souvenir fugitif du passé, appuyé comme d'habitude par un petit air d'accordéon.

Bref, tout ça pour dire que j'ai bien craqué mon slip pour cet album comme des précédents, qui est différent de tout ce qui peut envahir nos bacs actuellement. Plutôt que de vous laisser tenter par le énième clone d'un best-seller, jetez une oreille innocente vers l'Estonie. Cet album est un must ? Peut-être bien que oui.


Rédigé par : Prince de Lu | 17/20 | Nb de lectures : 11773