Si votre entourage vous regarde avec inquiétude depuis quelques heures, c'est assurément que vous venez de recevoir le dernier album de Leviathan dans votre boîte aux lettres. Depuis quelques années, le projet de Wrest a une tendance malsaine à déclencher une joie psychotique chez les auditeurs en quête de traumatismes sonores que nous sommes. Et par sa grande qualité, le travail de Wrest a même largement dépassé le cadre stricto sensu des amateurs de black metal.

"Massive Conspiracy…" a failli faire partie de ses albums-arlésiennes comme on en voit parfois. Moribund Cucult Records et Wrest se sont jeté des sacs de bave à la tête à coups d'avocats interposés pendant un an. Un temps annoncé sous le patronyme Lurker Of Chalice, la conspiration massive a finalement bien vu le jour en tant que Leviathan après que Moribund ait lâché l'affaire. Je retiendrai de cette histoire que les dissidents de l'UG américain savent dégainer les avocats quand ça les arrange. A retenir aussi, le split annoncé Nachmystium/Leviathan est passé définitivement à la trappe. Mais réjouissons-nous, mes biens chers frères, car nous pouvons désormais nous partager la sainte galette.

Et quelle galette! Moins torturé que les précédents albums, "Massive Conspiracy…" s'avère à la croisée du black dérangé habituel de Leviathan et de l'ambient malsain de Lurker Of Chalice. L'atmosphère est rapidement pesante, composée des sonorités désormais habituelles du projet, dont cette voix saturée qui fait encore des émules aujourd'hui. Concernant les riffs, Wrest voltige de passages lourds ou plus syncopés à des blasts furibards, le tout avec une désinvolture qui crée toute la différence. Les enchaînements sont fluides et d'une logique à toute épreuve dans des titres qui peuvent monter jusqu'à un crescendo terrible. L'instrumentation est sans faille, avec notamment une batterie énorme qui s'autorise du break jazzy. Mamma mia.

Juste après le démarrage glauque de "Vesture Dipped in the Blood of Morning" (avec son passage death à la Arkhon Infaustus), "Merging With Sword, Onto Them" s'inscrit en pierre angulaire de l'opus, avec dix minutes de montée continue époustouflante. Après ça, vous êtes définitivement entrés dans l'album, la tête dans les enceintes. Des titres ravageurs comme " Made as the Stale Wine of Wrath" ou "Receive the World" maintiennent la pression, en laissant sonner des passages qu'on pourrait entendre chez Deathspell Omega. Mais on trouve également des plages plus ambients et donc relâchées, plages qui sont étrangement positionnées en fin d'album, à partir du sage "VI-XI-VI" qui ouvre la seconde partie. Le résultat est un lent et agréable engourdissement plein de frissons en compagnie de la grosse bestiole des mers. Mais il faut aussi avouer que la fin de l'opus manque un poil de dynamique et d'excitation sonore.

Plus sage que la folie débridée des premiers albums, cet ultime Leviathan donne parfois la sensation d'être en terrain connu. Probablement qu'il existe une certaine émulation entre les deux rives de l'Atlantique. Mais au bilan, un album de Leviathan, j'ai plutôt envie de m'en délecter les yeux fermés et de me laisser emporter par le monstre du fond des océans sans trop analyser, même si cette longue prose vous fera peut-être penser l'inverse.

Et à propos de dissection, venons-en au truc qui tache. Si vous ne voulez pas risquer de vous gâcher définitivement l'écoute, je déconseille la lecture du paragraphe interdit.
Ne trichez qu'à vos risques et périls! Spoiler inside!

Bon, maintenant que sont écartés ceux qui ne veulent pas altérer leur plaisir (et je les comprends, même si la tentation de lire est très forte), revenons sur un point abordé sur le forum. Il y a un gros détail qui me ruine mon écoute de cet album, c'est le final de "Merging With Sword, Onto Them". Comme je l'ai écrit, ce morceau est à mon sens un pilier de l'album, avec une montée en puissance ébouriffante, un crescendo fatal qui finit d'entraîner l'adhésion de l'auditeur. Et pourtant, il y a UN riff que je ne peux que qualifier de plagiat, à mon plus grand regret. Avec votre Winamp (ben oui, vous n'avez pas acheté l'album, faut pas déconner), vous pouvez vous rendre à 8:42 sur le titre. C'est la deuxième itération du riff final, un riff grandiose et mammouth qui va encore se répéter plusieurs fois avant de laisser le chapitre se clore à coups de nappes d'un autre monde. Bon, peut-être que dans votre arrogante jeunesse, le riff ne vous évoque toujours rien. Il ne vous reste qu'à ouvrir une page sur YouTube et à taper "Vangelis Blade Runner", à écouter le thème principal du film concocté par le synthé grec et à constater que tout est là, notes, rythme et intervalles. J'ose rêver qu'il s'agit là d'une repompe inconsciente. Mais perso, cet artifice découvert me brise mon élan sur ze riff d'un titre colossal. C'est presque pire que les samples de Nocternity. Point positif dans tout ça, nous venons de mettre en place une chronique interactive. Un grand pas pour la science webzinale. M'enfin, quoi…

Gageons que Wrest va continuer à dispenser la bonne parole dans ses autres projets. Le Leviathan s'enfonce désormais dans les abysses, emportant avec lui une discographie conséquente et ayant souvent écrasé par sa puissance tous ceux qui ont osé l'affronter sur des splits. Finir sur un album de cette trempe n'est pas donné à tout le monde, et rien pour ça, chapeau bas. Par contre, avec son final moins ébouriffant que son démarrage et avec le contenu du paragraphe interdit, je ne peux décemment pas qualifier cet album de génial. Même si cela reste du très bon, avec son artwork fait maison tout de rouge vêtu.

Signalons également la réédition de l'album de Lurker Of Chalice chez Southern Lord et en digipack. Ca vous évitera de dilapider votre argent dans un des nombreux numéro 777 qui trainent sur eBay. Le digipack contient un titre bonux (mais pas le cadeau qui va avec).


Rédigé par : Prince de Lu | 16/20 | Nb de lectures : 14836