LAC PLACIDE - Away (Autoproduction) - 03/10/2003 @ 16h24
Après six années de cohabitation, les six comparses franciliens de Lac Placide devraient être en mesure de faire parler d’autres arguments que les charmeuses paires d’yeux qui surplombent leur biographie officielle. La maturité par exemple, non ? Ah, la maturité, quel bel exemple de notion malléable qui peut tout à la fois être la clé de la victoire… comme ne rien signifier du tout. Dans le cas de Lac Placide elle n’a pas le beau rôle, la maturité. Parce qu’elle gît pieds et poings liés à fond de cale, atrophiée par ses chaînes, crevant de faim et de soif. La maturité chez Lac Placide, on la sent, on la devine, on l’appelle d’un claquement de doigt, on sait qu’elle est là, solidement ancrée dans tous les compartiments du jeu, mais ce qu’on ne comprend qu’au bout de quelques écoutes, c’est qu’elle n’a pas le droit de se montrer au grand jour au devant d’un collectif qui, impitoyablement, prend le parti de se désintégrer puis de se réinventer à chaque nouveau morceau.
Le travail de Lac Placide est en effet à ce point éclectique et dépourvu de soubassements pré-identifiables qu’on peut parfois se demander si, au retour d’une course urgente, le lecteur n’a pas pris un malin plaisir à permuter les plateaux pour insérer un autre CD. Evidemment, avec un peu d’habitude, des points de repère se forment – l’empreinte d’une gorge reconnue, un doigté familier, une façon bien particulière de ponctuer le phrasé rythmique par des touches de synthé – mais l’expérience n’en demeure pas moins labyrinthique. Comme dans tout bon labyrinthe toutefois, Lac Placide ont pris soin de dérouler un fil d’Ariane. Ce dernier prend la forme d’une alternance entre les morceaux proprement dit et une collection d’interludes tous baptisés « Away » suivi d’une dénomination plus ou moins caricaturale des modes de tempo classiques italiens (andante, allegro, etc.), qui fournissent une indication du type d’ambiance que l’on peut s’apprêter à trouver. En outre ces petites tranches d’humeur ont la particularité de toutes naître d’un sample à base de clapotis aquatique, de chant d’oiseau et autres joyeusetés bucoliques ; une façon de conférer – avec un soupçon d’ironie ? – un liant à une chaîne de morceaux qui semble par ailleurs tout sauf liable.
Mais je m’aperçois juste à présent que j’ai grossièrement dérogé à tous les principes du journalisme d’information en négligeant de préciser en préambule de chronique dans quel style musical Lac Placide évolue. Voyez à quel point l’impétuosité d’un album peut déteindre sur son censeur… tss tss… Bon, reprenons nos esprits : Lac Placide font du… euh… ahem… bougez pas, faut que je déterre cette fichue bio… (dix-huit minutes plus tard) Je lis : « La rencontre du metal, de la pop, des accents jazzy et du progressif, qui caractérise aujourd’hui le travail de Lac Placide, est en marche ». Mince, ça en jette, hein ? J’aurais presque pu l’écrire.
Une fois tous les calculs faits et refaits, on en vient à corroborer cette description ambitieuse et transparente sans être tout à fait explicite. Le credo de notre sympathique sextet est en effet bel et bien de façonner des chansons intrinsèquement entraînantes et constamment mélodiques (donc un peu pop) à l’aide de mouvements de batterie qui claquent et d’attaques de riffs corsées (donc un peu metal), tout en empruntant des circonvolutions techniques aussi inattendues qu’expertes (donc un peu progressives). Pour les accents jazzy on fera confiance au groupe, et en particulier à la liberté de tonalité des solos en cordes aiguës comme à cette basse indomptable qui renouvelle fréquemment ses envies de décrocher de la rythmique pour taper sa petite impro. L’ouverture à la musique ethnique (certaines percussions ou mini-mélodies orientales) dirige même carrément vers le free-jazz, mais il ne faut pas s’y tromper : la base de la musique reste rock et la présence électrique ne dort que rarement.
La musique ne s’interdit jamais une passade joviale histoire de bien mettre en évidence que le visage de « Away » rayonne d’envie et d’enthousiasme, non pas de négativisme. A titre d’exemple les tempos très dansants qu’on retrouve dans un « Transition » ou dans un « Growing Circles », et qu’on pourrait presque rapprocher du zouk si la référence n’avait pas quelque chose d’infamant – et si l’instrumentation n’en était pas quelque chose comme mille fois plus épaisse. A contrario, on traverse parfois des zones bien moins turbulentes où transparaît une certaine mélancolie (mais pas de négativité, encore une fois), comme sur le très décontracté – et bluesy – « Prayers ». Le claviériste aux doigts de fée n’hésite pas à cambrer son outil de travail en sonorités atypiques, de faussement surannées à « Star-Trekiennes », posant ainsi la caution excentrique dont Lac Placide peut se réclamer.
D’essence noble, les morceaux sont donc de longueur respectable sans déborder au-delà des dix minutes. De ce fait, le groupe s’accorde une marge de variation confortable tout en évitant de tomber dans un progressif aux longueurs soûlantes, ce qui en règle générale – pardonnez mais c’est comme ça – est un pur pléonasme. Il est difficile d’isoler des comparaisons à titre indicatif, tant on saute tout au long de l’album de A à Z et de Z à A en passant par l’alphabet sanskrit… mais j’espère ne pas trop vexer le groupe (si oui, ce n’est que le produit de ma relative ignorance en la matière) en le situant quelque part au confluant de fragments d’Headline, Frank Zappa, Pink Floyd, The Gathering, Arcturus et Sonic Youth.
Les vocaux peuvent à certains moments donnés constituer le gros point noir de l’album, non pas du fait d’un manque de capacité de la part des protagonistes (masculin et féminin), mais parce qu’ils ne sont pas au diapason de l’intense expressivité instrumentale. Par exemple il faudrait éventuellement repenser l’exécution des lignes de chant masculine en Français qui deviennent souvent une obstruction à la clarté de l’ensemble, tandis que la demoiselle répondant au modeste pseudonyme de Sa Majesté en reste souvent (pas toujours) à des vocaux neutres (bons mais syndicaux) qui s’adaptent difficilement à l’atmosphère de l’instant – c’est surtout vrai pour les passages les plus mélancoliques. Il est à noter que Sa Majesté a du coffre et que son timbre n’est pas sans évoquer (juste le timbre) celui de Véronique Sanson.
« Away » reflète bel et bien le fruit de la collaboration entre six musiciens aux backgrounds et aux aspirations différentes. On peut se le représenter comme le clash tonitruant de six couleurs contrastées, sauf que là où la fusion des spectres de couleur aboutit au blanc et donc au rien, c’est une fontaine polychrome et tout à fait consciente de sa substance qui jaillit de la collision des individualités. Il est bien ennuyeux d’avoir à lui donner une note tant il paraît futile de juger quelque chose qu’il est très difficile d’adorer, et impossible de haïr. Disons que si d’aventure Lac Placide ont la chance de se faire un petit nom dans les bons cercles d’influence, ils pourront se constituer par effet boule de neige le following réduit mais fidèle que leur talent mérite. Allez, je pose 14 et puis basta, ça ne veut rien dire de toute façon : lisez des chroniques, écoutez en des extraits sur http://stage.vitaminic.fr/lac_placide et forgez-vous votre propre opinion…



Rédigé par : Uriel | 14/20 | Nb de lectures : 7479




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