Depuis la nuit des temps, il existe deux poids deux mesures.

A ma droite : la musique dont on se demande parfois si elle n’a pas été exclusivement composée pour les musiciens, qui requiert un réel effort de la part de l’auditeur. Souvent portée au pinacle par une soi-disant intelligentsia qui s’extasie avec un air inspiré devant une complexité à laquelle elle ne comprend parfois que dalle, elle garantit à ses géniteurs 1) une aura artistique maximale, et 2) un maintien de plus ou moins longue durée au sein de cette zone aussi culte que hype : l’underground. De toute façon, si ça devient connu, c’est foutu. Au mieux, on dira que le groupe a été « récupéré », au pire qu’il s’est « vendu ». Les salopes.

A ma gauche : la musique « facile », parfois dite « commerciale », qui fait taper du pied, s’insinue dans le cortex durablement dès la seconde écoute, et fait le bonheur du grand public qui se contrefout de la technique et plus généralement de l’Art. Zéro aura, mais jackpot assuré. Le genre de truc qui rentre tout seul, comme papa dans tonton quand maman n’est pas là.

Et entre les deux (devant moi, du coup) : le vide, le néant, le no man’s land des groupes qui sortent de l’obscurité pour devenir commerciaux (les salopes, donc), et puis quelques rarissimes contre-exemples qui vendent des disques et remplissent les salles sans pour autant avoir sacrifié leur intégrité artistique. Meshuggah, Tool, Rush… et demain, peut-être, Klone. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Si « All Seeing Eye » avait, il y a deux ans, assis les bases de leur postulat en prouvant que l’on avait affaire à de brillants musiciens et à d’excellents compositeurs, « Black Days » le coiffe aujourd’hui de plusieurs longueurs en s’octroyant la force de mélodies entêtantes et de refrains imparables, sans pour autant diluer le moins du monde la richesse d’écriture du groupe. Et les exemples ne manquent pas : entre le sublime « Give Up The Rest » (meilleur titre de l’album ?), « Holloway » et son riff de couplet à la Disturbed (ndlr : désolé Guillaume hihihi), le très éthéré « Danse Macabre », ou encore le rampant et diaphane « Behold The Silence », l’album regorge de chansons (le terme est utilisé sciemment) aussi fortes dans leur écriture que fédératrices dans leur rendu global. Et Dieu sait que cet équilibre chirurgical qui permet deux niveaux d’écoute n’est pas l’apanage de la première formation venue. La marque des Grands ? C’est bien possible.

La formidable unité qui se dégage de « Black Days » ne se prête pas particulièrement à la mise en exergue des performances individuelles, mais il convient tout de même de souligner quelques points précis suffisamment significatifs pour être mis en lumière. Tout d’abord, on le pressentait mais c’est maintenant avéré, Yann Ligner est un grand chanteur qui a SON style, SON phrasé, et SA voix, immédiatement identifiables. Ensuite, Matthieu Metzger (ci-devant responsable des claviers, des cuivres et autres habillages sonores) ne s’est jamais fondu à l’univers du groupe avec autant de subtilité et d’évidence que sur ce disque. Enfin, la mise en son de l’album (travail conjoint de Klone et de Franck Hueso, déjà responsable du « Lazarus » d’Hacride, entre autres) est absolument remarquable. Aparté : on en vient à se dire qu’avec, en France, des producteurs de la trempe de Hueso ou de Francis Caste, Joe Baressi peut rester où il est, ça va aller, on a ce qu’il faut ici, merci bien.

S’il existe une justice (et l’on veut y croire), Klone fera avec « Black Days » le même hold-up qu’a réussi il y a cinq ans un petit groupe des Landes qui faisait du stop entre Mars et Sirius, et a fini sur scène aux Etats-Unis à ouvrir pour Metallica. (Je rabats tout de suite le caquet du casse-couilles qui s’apprête déjà à poster un commentaire : il n’est pas question de comparaison musicale entre les deux groupes, on parle juste d’explosion de popularité, alors rassois-toi, tu vas casser tes lunettes).

Mika Berberian, boss de Season Of Mist, disait récemment dans nos colonnes ne pas avoir prévu à l’origine de sortir « Black Days », avant de se raviser à l’écoute de ce qu’il qualifie de « baffe ». On le comprend. Quel directeur artistique digne de ce nom passerait à côté d’un tel album ? Il faudrait être sérieusement dérangé. Mais si le laïus descriptif que le label a fait imprimer au dos du CD promo est d’une justesse confondante, il oublie un détail que nous nous ferons un plaisir d’ajouter en guise de conclusion : aujourd’hui, en 2010, avec un tel album à son actif, Klone n’a jamais aussi mal porté son patronyme.




Rédigé par : Rahahaaz | 18.5/20 | Nb de lectures : 16546