Que "Clean Hands Go Foul" soit affublé du sceau du posthume n'étonnera pas grand monde, Khanate empestait la mort à vingt bornes à la ronde depuis le début. Grands gourous du jusqu'au-boutisme musical, leur magie noire, c'est de pouvoir abaisser ton pouls de manière affolante. Encore quelques battements par minute en moins, et t'es bon pour la boîte en sapin. Khanate s'empare du temps et lui fait subir la plus effroyable des distorsions, symbolisant la lenteur poussée dans ses derniers retranchements, celle d'une douloureuse agonie étirée à l'extrême. Celle qui te fait supplier qu'on t'achève. Un vrai manifeste pour l'euthanasie.

Le testament qu'est "Clean Hands Go Foul", bien qu'issu des sessions de "Capture And Release", reprend le mode d'expression de l'époque "Things Viral". Evoluant à contre-courant de leurs confrères drone/doom/sludge bloqués sous la barre des 2,5 BPM, le quatuor ne cherche pas à jouer à la course à l'armement nucléaire en dressant la plus grosse muraille sonore possible. Parce que sournois qu'ils sont, l'audio-cauchemar qu'ils distillent joue sur les détails infimes et les silences. Les gars ont du métier (SOMA de Sunn O))), James Plotkin de Khlyst...), et ils ont bien compris qu'il était inutile d'en dire trop, les représentations les plus glauques que tu verras, tu ne les devras qu'à toi-même.

Ainsi le tissu sonore est réduit à sa plus simple expression, servant plus de miroir à ta propre chute qu'autre chose. Et au cas où tes facultés de projection ne seraient pas assez développées, t'inquiète pas, Alan Dubin va se faire un malin plaisir de te rabaisser comme la dernière des merdes. Ce type est l'auteur des vociférations les plus flippantes et hallucinées qui soient, à s'en tortiller par terre la tête entre les mains. Et du genre à bien prendre soin d'articuler ses insanités pour pouvoir te les loger profondément dans le crâne. Il est la clef de voûte du groupe, y insufflant une dimension psychotique des plus impressionnantes, chacun de ses vomissements semblant durer des heures.

Reste qu'on serait mauvaise langue, qu'on dirait que vu le tempo et le dépouillement des titres un seul gars suffirait pour gérer tous les instruments. Mais il faut bien trois bonhommes pour lui tenir le lourd crachoir au Alan. La notion de plans, de riffs, de patterns, tu peux l'envoyer aux oubliettes. Les guitares restent relativement "claires", mais égrènent des bouts de mélodies distordues, larsens et autres grincements de cordes qu'ils écartèlent à l'infini. Même sentence pour la batterie, aux rares interventions, et qui n'ont absolument rien de rythmique. Du décharné, du dégingandé, du dérangeant. Franchement pas de quoi se fendre la poire.

La "musique" de Khanate met énormément de temps à être appréhendée, mais une fois que le mal a pris il en devient incurable. "Clean Hands Go Foul" est une expérience autant qu'une véritable épreuve, aux confins du soutenable. Malgré le dernier morceau durant la bagatelle d'une demi-heure, plus éthéré et fatalement moins tendu, voilà une nouvelle pièce maîtresse de la discographie de Khanate, qui leur assurera une froide place au Panthéon du malsain. Ha, et t'endors pas avec ce disque. Tu te souviens quand tu venais honteusement réveiller tes parents en pleine nuit parce que t'avais mouillé tes draps? Ca te ferait marrer de revivre ça maintenant?


Rédigé par : Crown_Me | 16/20 | Nb de lectures : 12478