Oui, ce patronyme est quand même foutrement troublant. Ca me rappelle quand j'étais tout marmot et que je me concentrais sur la signification d'un mot en le répétant dans ma tête jusqu'à ce qu'il perde tout sens. Et c'est là que je regrette de pas avoir eu de console comme tout le monde... Bref, si le nom est assez déstabilisant pour rester en tête, ce n'est encore rien à côté de la musique... Puisque voici la très bonne surprise de l'automne, arrivée de nulle part (vous me ferez pas croire que vous connaissez Boise, Idaho), et accessoirement l'un des OVNIS de l'année.

Parce que pour être difficile à cerner, ce tout premier essai l'est assurément. Je sais pas si un peu de name-dropping y parviendra, mais on va tenter le coup. Alors premièrement, comme me l'a soufflé le mécène #1 de Gaza, Jument, en anglais, ça se traduit par Mare, et comme vous le savez tous, Mare, c'est le groupe qui a sorti le meilleur EP sans suite du monde. Fruit du hasard, mmmh en fait, non, l'influence des défunts Canadiens plane sur ce "Plate X", puisqu'on y retrouve cette classe, cette finesse et cette sensibilité qui les caractérisaient, à l'instar d'un Kayo Dot. Mais pas seulement. Parce que Jument parvient en sus à synthétiser l'aspect ultra tortueux d'un Starkweather, ou encore les trisomies rythmiques d'un Meshuggah, tout en restant formidablement uniques.

La vérité, si Jument (désolé) se distingue tant, c'est parce que l'on ne sait jamais sur quel pied danser, la rythmique est du genre au trot mais toujours flottante, en perpétuel mouvement. Les guitares ont presque été émasculées de toute agressivité, toujours tout en subtilités et arythmies. Et évoquent parfois les accalmies les plus grondantes de leurs potes de Gaza, pour ce côté pesant mais lancinant ("K"). Je dois avouer qu'il y a une chose qui m'a empêché d'adhérer d'entrée de jeu, c'est la voix. Par rapport à la finesse du tissu instrumental, elle contraste par sa linéarité et ses placements dérangeants, très proche d'un Jens Kidman. Et puis, petit à petit, elle se fond dans le décor, et y trouve parfaitement sa place, jusqu'à devenir indissociable du reste.

Entre cavalcades mélodiques fatales ("Eternal Branch") et masse sonore pacifique mais grondante, ces 7 titres sont une totale réussite. Ces mecs repoussent les barrières, ne cherchent pas à sonner comme-ci ou comme ça, ils font leur truc comme ils l'entendent, point barre. Résulte une sensation de liberté à l'écoute de "Plate X", celle qui te donne l'impression d'aller labourer de nouveaux terrains. Puisque leur nom est au final totalement approprié, signifiant "bête de somme". Car c'est bien un bestiau fatigué d'une dure vie de labeur qui se traîne là lentement avec humilité, jusqu'au final où il trouve enfin le repos le temps de 25 minutes apaisées.

Émane de tout cela un postcore déviant qui a trop la classe, le genre de "metal" raffiné que t'écoutes en vinyle, seul dans ton salon, affalé avec une clope et un verre de sky dans ton rocking-chair, avec le sourire satisfait du mec élitiste qui croit avoir trop bon goût. Mais on t'en voudra pas. Par contre, pour le LP, t'attendras peut-être toute ta vie, mais pour le CD, il t'arrive des States pour moins cher qu'un paquet de clopes...


A noter que l'album sortira en version remasterisée par Scott Hull (Pig Destroyer, Agoraphobic Nosebleed) chez Trendkill Recordings en mars prochain.


Rédigé par : Crown_Me | 16,5/20 | Nb de lectures : 12805