Peu de mois après la sortie du mini « Heart Ache », Justin Broadrick nous revient avec cette fois un premier album complet sous le nom de Jesu et un nouveau label, le très réputé Hydrahead (label de Aaron Turner de Isis pour ceux qui ne le savaient pas encore).
Comme d’habitude avec ce label, l’artwork est peaufiné à l’extrème et « Jesu » ne fait pas exception à la rêgle. Un papier cartonné pour le livret, découpé, qui laisse entrevoir un bout de rue enneigée comme si l’on regardait par une fenêtre, le tout d’un marron assez austère. Magnifique. Et quand la réussite visuelle se couple avec une réussite musicale, ça confine à la pièce de collection. Car « Jesu », à tous points de vue, est un album exceptionnel. Par rapport à l’Ep, cet album s’est débarrassé de toutes les fioritures que sont le piano, les ambiances calmes, le son clair. Justin Broadrick a condensé le tout et se sert d’une base saturée dans laquelle la basse distordue occupe une bonne place. Ce qui donne des morceaux plus courts, mais dépassant toutefois tous ou presque les 8/9 minutes. La lourdeur oppressante de la section rythmique, signe de fabrique du compositeur anglais, est plus que jamais présente, toujours aussi lancinante, parfois doomesque voire limite dronesque. Le rythme ultra lent et dépouillé de la batterie (tenue par Ted Parsons, ex-Prong) se colle à merveille sur les guitares et surtout la basse pour asséner une puissance toute en retenue, chose assez paradoxale je l’admet. Et sur ce substrat de noirceur viscérale directement issu des vieux Godflesh viennent se poser des petits arpèges délicats bien que saturés, des samples un peu indus, et surtout une voix digne des meilleurs albums de post-rock. Gorgée d’effets, ultra calme et planante, celle-ci semble habitée par la grâce et a le don de mettre la bonne note où il faut quand il faut (magnifiques « Friends are evil » et « Tired of me »). Toujours aérienne ou presque (une voix hurlée apparaît sur le seul « Man/woman », avant-dernier titre de l’album, comme une dernière volonté d’agressivité avant un retour vers la dualité lourdeur/planant), plus présente que sur « Heart Ache », celle-ci administre à la musique une double lecture : pesanteur de la rythmique, beauté de la mélodie. Entre les deux point de salut ? Peut-être bien oui, en tous cas sur cet album. Reste que si l’album est plus condensé que le Ep, Justin Broadrick ne renie en rien cette première sortie puisque il se ressert parfois de mêmes mélodies au chant et des mêmes arpèges saturés, inscrivant ainsi une logique dans la progression de son œuvre. Chose bizarre, le Ep a été enregistré après « Jesu », alors que la filiation semblait plus qu’évidente. Bref, allez comprendre….
Impossible de ressortir un titre du lot, ils sont tous aussi essentiels à la cohérence de l’album les uns que les autres et en ressortir un serait nier l’incroyable complémentarité qui s’opère entre tous ces titres, et l’incroyable poésie sombre qui se ressent à l’écoute de cet album, folle comme un texte de Lautréamont mais maitrisée comme un poème de Baudelaire... Jesu semble réussir l’exploit de se poser déjà comme un groupe culte et ce, seulement avec un Ep et un album sous le bras. Belle performance !



Rédigé par : Ocean? | 18.5/20 | Nb de lectures : 13063