Décidément pas de changement, le ciel de Birmingham est toujours aussi plombé. Birmingham ? Serait-ce… non ? Si !… Après le culte Godflesh, Justin Broadrick nous revient avec un nouveau projet qui, s’il continue sur sa lancée, prendra probablement le même chemin que son prédécesseur.
« Heart ache » est un Ep de deux titres, une sorte de carte de visite en gros. Deux titres mais une durée de près de 40 minutes, il n’y a pas vol. Musicalement, on retrouve du Godflesh, notamment dans l’utilisation de guitares sous-accordées qui flirtent avec les limites de la justesse. Elles sont si sous-accordées qu’elles perdent pas mal en dynamique, mais ce n’est de toutes façons pas ce qui est recherché ici ; le but est de plomber, pas d’être pêchu. Mais se restreindre à une resucée du mythique combo indus serait une grave erreur. Il y a beaucoup d’autres choses aussi. « Heart ache » est difficile d’accès, très riche et complexe malgré une fausse naiveté qui pourrait éventuellement frapper un auditeur non averti de l’univers de Broadrick. Les riffs pachydermiques sont composés de manière progressive, c’est à dire qu’au fur et à mesure ils évoluent en eux-mêmes pour nous emmener vers une autre ambiance dans le même titre, lentement mais sûrement. Il faut dire qu’en près de 20 mns par morceau les atmosphères ont le temps de se développer. Pour se faire une idée, la voix n’arrive qu’après 8,35 mns écoulées sur le premier titre et est quasi absente sur le second. Celle-ci est un des points forts de l’album : claire, posée et sereine, noyée dans les échos et la réverb elle rappelle un peu le genre de voix utilisées par les groupes de post-rock (et filtrée façon indus sur « Ruined »). Plus besoin de hurler, la tension est ailleurs. Car tension il y a. Urbaine, poisseuse, lourde. Et même lors des passages calmes elle est présente, par un larsen sous-jacent, par une petite dissonance…. Les sonorités des claviers peuvent paraître kitsch mais sonnent parfaitement. La douce naïveté (volontaire) des arrangements claviers permet à l’auditeur de ressentir une sorte de mélancolie, voire de nostalgie, un peu comme si on se rappelait notre enfance, un jour de pluie (c’est l’image que ça me donne en tous cas). Le mur sonore formé par le duo basse/guitare, presque monotonal, permet de poser dessus des arrangements simples mais superbes, notamment après la moitié du titre « Ruined », où un petit arpège désarmant de facilité emplit de mélancolie le passage. L’utilisation d’une boite à rythmes aux sons changeants n’est pas dérangeante, ça déshumanise un peu le propos. Par contre le prochain album verra certainement la participation aux baguettes de Ted Parsons (ex-Prong), comme lors de la dernière tournée de Godflesh.
Au final cet Ep est assez fascinant, pour peu que l’on puisse entrer dedans. Cela demandera des efforts aux néophytes (qui seront largement récompensés), par contre les fans de Godflesh, Scorn, Swans, Prong et autres groupes de ce calibre pourront se délecter sans trop d’efforts de ce superbe album. Il est intéressant de noter aussi que jesus (Jesu) est issu de la chair de dieu (Godflesh). Cette filiation qui ne peut être que volontaire de la part de son initiateur montre à mon sens que ce type est en train de bâtir une œuvre dans la continuité, qu’il voit une ligne directrice à suivre depuis le début et évolue par rapport à ceci. « Heart ache » n’est qu’une marche supplémentaire dans la carrière de Justin, une étape nécessaire avant la prochaine, et dans la continuité de la précédente. Coup d’essai pour ce nouveau projet proche du coup de maître, mais était-il possible qu’il en soit autrement venant de la part de Monsieur Justin Broadrick ?



Rédigé par : Ocean? | 8/10 | Nb de lectures : 11575