« Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service. »

L'incipit de "Neuromancer" résume bien mes sentiments à l'écoute d'un album d'Immolation ; un mélange vicié d'urbanisme décadent et de désolation propice à toutes les déviances musicales. « Majesty and decay » ne fait pas exception à la règle, huitième album studio qui vient conforter l'insolente discographie d'un groupe alignant les réussites à intervalle régulier sans même donner l'impression de forcer.
L'album est donc excellent et ne devrait surprendre personne bien qu'on ait pu naturellement nourrir quelques interrogations suite à la récente signature du groupe chez Nuclear Blast, label spécialisé dans la saucisse de Donzdorf, les albums collectors grotesques et accessoirement le metal. Pas d'évolution notable dans la formule bien rodée du NY death metal d'Immolation, tout au plus un subtil pas de côté qui ne fournira un sujet de glose qu'aux habitués du groupe.

La plus grosse rupture réside peut-être dans la cover qui tranche avec les précédentes réalisations sorties chez Listenable, finies les teintes de rouille, de bronze et d'or, on tape désormais dans les couleurs froides et l'iconographie death traditionnelle. Sympathique mais un peu bateau. Là n'est pas l'essentiel.
D'un strict point de vue musical j'ai l'impression que le son du groupe s'est fait plus accessible, c'est le point principal que je voudrais essayer de développer. Tout d'abord on note l'adjonction aux manettes de Zach Ohren (Castle Ultimate studios) en renfort du producteur habituel, Paul Orofino. Les changements dans le mix ne sont certainement pas étrangers à son arrivée, la production se veut dès lors plus claire et puissante en opposition avec les albums précédents dont le son avait parfois fait l'objet de critiques. A titre personnel je trouve que l'identité d'Immolation dépendait partiellement de cette production sèche et un peu hermétique qui rajoutait à la rudesse des compositions un quelque chose de fondamentalement malsain.
En outre, les trailer de l'album mis en ligne renseignent un peu sur le processus d'écriture de l'album dont Bob Vigna assure la grande majorité. Il a pour la première fois composé l'intégralité de l'album sur ordinateur avant d'en fournir la trame à ses acolytes pour l'ajout des arrangements. C'est sur cette dernière partie que Steve Shalaty s'est particulièrement illustré, démontrant l'approfondissement de son implication dans le groupe et donnant la mesure de ses capacités qui n'ont au final pas grand-chose à envier à celles du regretté Alex Hernandez. Les compos en elles-mêmes me semblent davantage affutées dans la recherche d'efficacité, moins torturées et plus percutantes en somme (le retour en avant de la batterie au mix y est évidemment pour quelque chose). Tout cela concourt à la réalisation d'un album plus compact mais aussi plus tranquille là où auparavant le groupe donnait l'impression de danser sur le fil du rasoir.
A noter également le retour d'intermèdes instrumentaux insérés en début et mi-parcours de l'album de façon totalement anecdotique, sauf à considérer qu'un album d'Immolation a besoin de plages de respiration ce qui relève de l'hérésie la plus condamnable.
Autant de considérations qui peuvent sembler inopérantes devant la désarmante qualité de l'album mais qui trouvent également leur fondement dans mon incapacité à dégager des moments forts de « Majesty and decay » en dehors justement du titre éponyme, écrasante synthèse de ce que le groupe sait faire de mieux en termes de lourdeur, de complexité, de perversité musicale.

De par leur constance dans la passion qui les anime, leur contribution historique au genre, l'immense capital de sympathie que génèrent Ross Dolan et Robert Vigna en live et par dessus tout l'exceptionnelle qualité de leurs productions, Immolation demeure un groupe incontournable dont chaque sortie devrait faire l'objet d'une attention soutenue, quand bien même celle-ci ne ne constitue qu'un jalon supplémentaire dans un parcours qui réserve peu de coups de théâtre.


Rédigé par : #Guillaume# | 16/20 | Nb de lectures : 15477