L'album de Ihsahn va inaugurer le paquet de kroniks de printemps consacrées à la scène norvégienne. Il faut dire qu'entre Ihsahn, Satyricon, Keep of Kalessin et un peu plus tard Enslaved, la scène norvégienne va redonner un coup de projecteur sur une poignée de groupes-phares en l'espace de deux mois. Quatre groupes, quatre orientations.

Les Kros norvégiennes de Printemps - Chapitre I

"The Adversary" est ainsi le premier véritable album estampillé solo d'un homme que je ne vous ferai pas l'affront de présenter. Annoncé dans des interviews dès la fin de Emperor en 2001, cet opus n'a pu voir le jour qu'après la mise en sommeil de Peccatum qui accaparait Ihsahn. Il y avait de quoi être sceptique sur cette fournée de morceaux composés début 2005, et donc relativement récemment dans le cursus musical mouvant du compositeur. Comment Ihsahn allait-il revenir avec un album annoncé plus métal que ses derniers travaux? Allait-on assister à la déconfiture d'un génie, maintenant trop isolé de la scène actuelle (bien qu'il n'ait pas fait de prison, lui)? Peut-on espérer un nouvel Emperor qui ne porterait pas son nom?

Je vous rassure, "The Adversary" nous invite dans l'univers musical de Ihsahn que nous pouvions espérer (avec un peu de réalisme sur son évolution personnelle). Ceux qui croyaient à un retour de Emperor et des blasts à gogo sur fond de multiples pistes symphoniques sont de doux rêveurs (hélas). Ihsahn a bien sûr évolué depuis Emperor et c'est à un résultat quelque part entre "Prometheus", Peccatum et du éminemment plus progressif qu'il fallait s'attendre. En tout cas, pas de déconfiture en vue, bien au contraire. Le titre d'ouverture "Invocation" s'avère de prime abord proche de "Prometheus" avec ses parties rapides mais dès le break central (et son superbe riff mélodique en son clair) on sent que Ihsahn va proposer des compos travaillées avec amour. Le chant clair est magique et ce riff, porté par les nappes de synthé, évolue pour nous emporter loin dans les nuages. La messe est dite en moins de cinq minutes. Certains auraient aimé l'Enfer mais c'est bien au Purgatoire que nous conduit Ihsahn.

Sur le reste de l'album , des blasts sont bien là, comme sur "Citizen", mais en petit nombre. Des parties rapides sont présentes mais avec parcimonie. Elles se mêlent constamment à des parties plus atmosphériques (comme le très ambiant "Astera ton Proinon"), des plans purement progressifs (comme le pont de "Homecoming"), voire des riffs bien heavy ("The Pain is Still Mine"). Ihsahn compose de manière fouillée et complexe et met en musique son univers mélancolique si personnel. Les deux morceaux de la partie centrale de l'album "Homecoming" - "Astera ton Pronion" laisseront même les plus bourrins dans l'abandon le plus total, jouant sur le registre de l'émotion. Ihsahn n'hésite pas à aérer les compositions, à faire respirer ses titres pour rebondir, quitte à ne pas employer les artifices du métal qu'on attendait de lui. Seul compte l'émotion et la magie pour celui qui se laissera emporter. Le lead de "And He shall Walk in Empty Places", la partie centrale de "Called by the Fire", les riffs principaux de "Panem et Circenses" sont autant de moments de génie, oeuvres d'un musicien en totale maîtrise de son art.

Le "leader" s'est entouré de lui-même (c'est déjà pas mal) et du batteur de Borknagar/Spiral Architect/Vintersorg Asgeir Mickelson pour enregistrer la bête dans son Symphonique Studio. Ihsahn a géré tous les aspects de l'enregistrement à la production de cet album produit par son label Mnemosyne Productions et distribué par Candlelight. Les voix claires de Ihsahn, chants si reconnaissables, n'ont jamais été aussi bien interprétées. Elles me laissent d'ailleurs complètement sur mes fondements. Je me surprends à chanter "Will You Love Me Now?" sous la douche. A propos de vocalises, Ihsahn rend la politesse à Garm. Après avoir été invité à faire des voix sur "Themes From William Blake's The Marriage of Heaven and Hell", il invite le vocaliste de Ulver à faire une apparition poétique sur le mélodique "Homecoming". Je précise que quatre samples des neuf titres sont disponibles sur le site officiel et que vous retrouvez le sample de "Called by the Fire" et la vidéo de "Invocation" sur la page Myspace.

La discussion va également porter sur la production, à n'en point douter. La caisse claire est certes un peu en retrait, sans que ce soit choquant sur l'album (effet des mp3?). L'explication peut également venir du cerclage en bois de la caisse claire employé par Asgeir, cerclage qui est visible sur la vidéo de "Invocation" (merci à Madryal pour cette info). Mais ce son aéré est également un choix totalement volontaire de Ihsahn, qui souhaite s'éloigner des productions actuelles à l'espace sonore complètement saturé (démarche qu'on retrouvera encore plus poussée chez Satyr). La part belle est donc donnée aux chants, aux guitares et aux orchestrations, la batterie retrouvant son rôle naturel de support rythmique contrairement à pas mal de sorties du moment.

Sans avoir la prétention de réinventer le métal, "The Adversary" est tout simplement un moment de musique de grande qualité qui peut largement séduire les personnes réfractaires à la violence de Emperor. Et l'album se conclut sur les 10 minutes de "The Pain is Still Mine", morceau plus théâtral et mélancolique qui laisse l'auditeur avec la nostalgie de 50 courtes minutes à côtoyer le talent dans un album varié et extrêmement fouillé. Par les temps qui court, il ne faut pas cracher dessus. Après, on accroche ou on n'accroche pas, je suis totalement d'accord. Mais ce serait dommage d'avoir un tel opus à portée de main et de ne pas lui donner la chance qu'il mérite largement...

A suivre...




Rédigé par : Prince de Lu | 18/20 | Nb de lectures : 18160