Critique est sûrement le plus beau métier du monde. Un de ceux que je tiens en la plus haute estime.
Pour rebondir sur le récent dossier d'Oror c'est peut-être celui qui me laisse parfois un goût amer, cette envie de tout plaquer entre 7h55 et 8h15, juste avant que les élèves ne rentrent en classe. Une discipline que j'espère à mon humble échelon porter un jour quelque part entre Lester Banks et Sainte-Beuve si Greg me laisse pourrir ses colonnes avec mes douteuses digressions.
Il faut dire que IHSAHN est de ces artistes qui donnent envie de pousser l'investigation jusqu'au journalisme Gonzo si nécessaire ; aller passer quelques mois à Nottoden pour éprouver l'influence de la luminosité sur son humeur, vérifier l'exécrable pression du conservatisme luthérien, sentir vibrer le Fa# d'une huit cordes au petit matin ou gloser sur l'étymologie d'Yggdrasil avec les derniers pandas des glaciers scandinaves. Vous doutez de la pertinence de la méthode ? Moi aussi. Mais j'en garderais toutefois le principe d'ultra-subjectivité, l'idée selon laquelle la vérité correspondrait à ce que je pense moins la manière dont je le pense. Ce n'est jamais que ce que proposent régulièrement des types comme La Myxine ou Cobra dans les pages de votre webzine préféré.

De quoi on parlait déjà?
« After », le nouvel album solo d'un musicien que je ne vous présenterai pas. « After » n'est le point d'orgue de rien du tout et certainement pas l'aboutissement de quoi que ce soit. « After » c'est surtout « après ». Après les derniers sanglots de ceux que la reformation d'Emperor a nourri de fols espoirs, après s'être débarrassé du costume de leader d'une certaine scène extrême qui ne lui allait plus, après avoir surpris, emballé, déçu pour des raisons parfois spécieuses. C'est une remise à plat des conventions entre l'artiste et son auditoire.
« After » c'est désormais.
Pris dans sa globalité l'essai constitue un étalon remarquable des capacités d'Ihsahn, de la direction prise par sa recherche musicale et l'esthétique de son objet. C'est d'ailleurs le seul facteur de cohérence que je trouve à un album qui a tendance à partir dans toutes les directions. Pas de quoi refiler une méningite à un docteur en musicologie mais il faut reconnaître que le travail sur la structure interne de chaque titre et son développement est énorme. Servi par la section rythmique de SPIRAL ARCHITECT, notre drôle s'en donne à cœur joie et déroule la solide texture de ses morceaux en la saupoudrant de moultes soli ou fioritures ; guitares bien sûr, mais aussi clavier ou saxophone (Shining's Jorgen Munkeby) selon l'humeur et/ou la nécessité.
Les amoureux d'étiquette pourront parler d'experimental progressive black n'jazz, ce qui est du plus bel effet quand on arrive à le placer en soirée. Toujours est-il que les riffs sont costauds sans être violents, à l'exception notable de cet étrange « Grave inversed » dont la dissonante brutalité jure salement dans l'ensemble plutôt cosy de l'album. Impression de confort renforcée par une production qui manque d'un soupçon de caractère à mon goût. Je ne surprendrai personne en ajoutant que le chant est parfait du début à la fin, qu'il soit rageur ou poétique, torturé ou angélique ; les qualités vocales d'Ihsahn viennent de franchir un nouveau palier, on pardonnera ainsi volontiers un mix qui les privilégie quelque peu.
Au rayon des désagréments je soulignerais le déséquilibre d'un disque dont l'essentiel pourrait se résumer aux deux longs titres marquant la moitié et la fin de l'album. Deux titres exceptionnels, à la trame quasi narrative, qui explosent dans un déluge de sensations, d'impressions très graphiques -un peu comme la bande originale du film que j'aurais aimé tourner- le tout porté par la mélodie du sax dont la partition hante longtemps après les dernières notes. Le reste des morceaux balance entre le très bon -le classieux « Austere » ; cadence et couleurs d'accord tout y est parfait- et le pas mal du tout, sans que ce savant mélange ne parvienne à m'arracher des râles d'ivresse sur la longueur. La faute peut-être à une tendance à la démonstration sur les soli -rien qui ne m'insupporte davantage- et à des riffs plus efficaces que brillants dans l'ensemble.

Je ne peux au final que me joindre au chœur de louanges accompagnant cet album qui ne sortira que demain, -magie des temps modernes- tout en l'accompagnant de mes bémols. Seule sait la mère des muses si un album prochain sortira sous le nom de Vegard Sverre Tveitan afin d'entériner une nouvelle ère pour Ihsahn.
Vient maintenant l'invraisemblable : attribuer une note résumant tout ce qui précède. Je préfère encore lancer trois dés à six faces et détourner chastement le regard pour vous laisser faire le total.




Rédigé par : #Guillaume# | 15/20 (6+3+6) | Nb de lectures : 15011