Jon Schaffer est malin. Il a certainement très vite compris au crépuscule des années 90 qu’il tenait avec son personnage Set Abominae bien plus qu’une mascotte. Cette momie démoniaque née de son imagination nourrie aux comics américains et au heavy metal européen est immédiatement devenue avec l’aide de la paire d’illustrateurs Travis Smith (OPETH, DEATH, NEVERMORE) - Danny Miki (SPAWN, PUNISHER, SUPERMAN) une entité charismatique aussi importante dans l’univers conceptuel et graphique d’ICED EARTH qu’Eddie dans celui de MAIDEN. Auparavant, ICED EARTH était un combo underground commençant à connaître un certain succès, notamment après la sortie de l’album précédent centré sur le personnage de comics Spawn, mais après la sortie du fabuleux « Something Wicked… » ce fut une explosion mondiale. Tout était réuni dans le disque pour en faire une de ces œuvres cultes indémodables que peu de groupes peuvent se vanter d’avoir dans leur discographie : un artwork magnifique, immédiatement identifiable, des morceaux gigantesques tour à tour épiques, bourrins ou tubesques, une ballade simplissime dans sa construction et universelle dans le message transmis (« Watching Over Me », écrite à la mémoire d’un ami récemment disparu)… et un chanteur gigantesque, Matt Barlow, doté d’une voix hors normes et surtout d’un formidable talent d’interprétation qui sera pour beaucoup dans l’ascension du groupe.

Et puis un jour, Barlow a préféré l’uniforme de policier aux cheveux qui lui caressaient la raie du cul et ICED EARTH se retrouva dans une situation bien délicate : certes, Jon Schaffer étant le compositeur principal du groupe, il y avait peu de chances pour que son orientation musicale et conceptuelle s’en trouve bouleversée, mais le chanteur démissionnaire avait tellement marqué les morceaux de son empreinte qu’on était dubitatifs quant à son avenir. L’annonce de l’intégration de Ripper Owens, qui venait de se faire jeter de JUDAS PRIEST, rassura une partie des fans et inquiéta l’autre, probablement pour les mêmes raisons : avec son style de chant à la Halford, Owens est techniquement inattaquable mais on peut lui reprocher un certain manque d’identité et c’est justement ce qui faisait la force de Matt Barlow. La réponse à une partie des interrogations fut donnée avec « The Glorious Burden », un disque surprenant, plus mélodique que ce à quoi ICED EARTH nous avait habitués, dont la dimension symphonique flirtait parfois avec l’emphase. Un choix intelligent avec le recul, puisqu’en se démarquant légèrement des structures et du style qui lui étaient propres, le groupe présentait ainsi son nouveau chanteur dans des conditions plus confortables que sur un disque typique où on aurait pu faire la comparaison note à note avec son prédécesseur. Il n’en restait pas moins que beaucoup de fans, moi le premier, sont restés sur leur faim parce qu’ils attendaient autre chose de la part d’ICED EARTH, quelque chose de plus couillu et agressif.

Jon « The Brain » a alors communiqué son intention d’écrire deux albums dont les sorties seraient espacées de quelques mois, qui reprendraient la thématique de « Something Wicked This Way Comes»… c’est un peu pour le fan d’ICED EARTH comme si MAIDEN planchait sur deux disques basés sur « Powerslave » ! Le premier de ces deux albums est maintenant dans les bacs après un EP sorti au mois de juin contenant le premier single « Ten Thousand Strong » et la trilogie « Something Wicked » réenregistrée et quelque peu modifiée.

Premier constat, « Framing Armageddon » est un album ambitieux, bien plus que « The Glorious Burden », et peut-être même que « Something Wicked This Way Comes ». Une partie des dix-neuf plages le constituant sont des intros ou des interludes, mais ils sont tellement bien foutus et bien intégrés qu’il serait réducteur de ne les considérer que comme des plages additionnelles. Ils sont le mortier qui cimente l’édifice, qui donne à ce concept album sa dimension épique, la couche de vernis qui fera que peut-être dans dix ou vingt ans, il dégagera toujours la même aura. Parmi eux, « Overture » et « The Awakening » qui ouvrent et ferment l’album, sont symptomatiques de l’évolution d’ICED EARTH : guitares acoustiques, violons, percussions, ambiance ethnique, mélange de chœurs religieux et de chant oriental, il est évident que le groupe et Jon Schaffer en particulier ont atteint leur maturité et que l’énorme potentiel qu’on voyait en eux n’était pas une illusion.

Comme souvent avec les albums concepts, « Framing Armageddon » ne se livre pas immédiatement et il m’a fallu une semaine à ne rien écouter d’autre ou presque pour finir par me laisser séduire par ses morceaux/chapitres dont certains, comme le single « Ten Thousand Strong » qui semblait d’un classicisme désespérant sorti de son contexte, se révèle être l’un des meilleurs titres du disque et l’un des meilleurs du groupe, pas moins ! Un refrain entêtant, mélodique et épique à la « The Hunter », un Ripper Owens magistral, une énergie incroyable, encore une fois Schaffer avait vu juste. L’ambiance générale est à la mélodie, aux ballades tristes et aux morceaux non brutaux, dans la veine du précédent album, à la différence que cette fois chaque note a été policée à l’extrême, rien n’a été bâclé comme ça a pu être le cas auparavant. On pourra reprocher à « Framing Armageddon » de ne pas être à la hauteur des plus grands albums de heavy (ce qui serait une erreur à mon sens), mais certainement pas au groupe d’avoir tout donné pour qu’il le soit. S’il paraît quelque peu molasson au début, c’est que l’accent a été porté sur les ambiances et que la guerre ne sera déclarée que dans la seconde partie qui sortira au printemps prochain et qui est annoncée comme bien plus heavy.

On retrouve distillés sur les dix-neuf morceaux quelques lignes de chant, quelques notes, quelques accords provenant de « Something Wicked This Way Comes », concept oblige. Pour le reste, toutes les chansons sont inédites, et bâties de sorte à laisser beaucoup de champ libre à Owens pour exprimer toute l’étendue de son talent. La plupart du temps, de multiples pistes de chant de chevauchent et on se rend un peu mieux compte de ce que le vocaliste voulait dire quand il disait avoir fourni un travail énorme : chant hurlé à la Halford, posé, hargneux, grave, il n’est plus bridé par aucun formatage et se lâche complètement. Un pur régal, une fois qu’on a réussi à faire le tri dans cet enchevêtrement de lignes de chant. J’aurais toutefois préféré qu’on le laisse plus souvent chanter seul, comme à l’époque Barlow, ce qui renforçait l’impact émotionnel de certains passages.

Bah, le Pat y cause, y cause, et y parle pas des chansons là !!! Une vrai gonzesse ce gars !
C’est pas faux… Donc passons aux chansons : le deuxième extrait mis à disposition des fans sur le MySpace du groupe, « Setian Massacre », est un très bon exemple de ce vers quoi s’orientent la majeure partie des compos : des refrains qui prennent aux tripes, des morceaux qui sans être violents sont d’une puissance incroyable grâce à toute la charge émotionnelle qu’ils véhiculent et à cette fameuse dimension épique qu’on retrouve souvent dans les grands albums. « A Charge To Keep » et ses chœurs entêtants, « Order Of The Rose » et sa rythmique très heavy, le final guerrier de « Framing Armageddon », l’entraînant instrumental acoustico-ethnique « Something Wicked Part 2 », il y a très peu de rebuts sur le disque mis à part peut-être la trop longue ballade « The Clouding », qui ne méritait pas de durer neuf minutes et « When Stars Collide », beaucoup trop douce après l’explosion finale de « Framing Armageddon ». Hormis ces points légèrement négatifs, l’album ne procure que du bonheur, est d’une rare homogénéité et non seulement se suffit largement à lui-même, mais se révèle également être une introduction parfaite au deuxième volet qui s’avancera sur un tapis rouge flamboyant et n’aura plus qu’à envoyer la sauce. Pour peu que les titres qui le composeront soient à la hauteur des tueries du genre « Ten Thousand Strong », ICED EARTH pourrait bien réussir l’exploit de sortir à quelques mois d’intervalles les meilleurs albums heavy metal de 2007 et 2008 !

Nous voilà arrivés à la fin de ce pavé qui, je l’espère, n’aura pas été trop indigeste (promis, je ferai plus concis pour le deuxième volet). Les fidèles du groupe ayant, comme moi, rongé leur frein pendant deux albums, devraient être amplement rassurés quant à son avenir artistique avec ce magistral « Framing Armageddon », en attendant la suite et en espérant qu’elle soit à la hauteur de nos espérances.


Rédigé par : Dungorpat | 17/20 | Nb de lectures : 14635