Déroutant et résolument anti-commercial, ce premier album des thrasheurs marseillais est tout autant casse-gueule que jubilatoire. Thrasheurs ? OK, même si ça m’arrache le cul de l’admettre, « thrash » est un terme bien trop réducteur pour décrire l’univers d’IBOGAÏNE. « Psyché » le serait tout autant, malgré le choix d’une drogue hallucinogène pour nom de groupe et un visuel bien barré. « Hardcore » ? Oui, en partie, notamment dans la façon qu’a Djil de poser son chant ; IBOGAÏNE, c’est en fait un peu de tout ça et de bien d’autres choses encore…

On trouve en effet dans « React », associés de façon étonnamment très homogène, des éléments thrash, death, hardcore, post hardcore, bref un peu de tout ce qui peut se faire tant que ça gueule et que c’est un minimum torturé. Mais qui dit torturé ne dit pas forcément dépressif ou dérangeant, les Marseillais explorent en fait des territoires dont, à ce qu’il me semble, DISBELIEF n’ose pas encore s’approcher, restant dans un sentier certes bien poisseux, mais également bien balisé. On sourit rarement à l’écoute de « React », on ne peut pas dire non plus qu’on sorte de son écoute apaisé, mais il dégage une sorte de noirceur positive, quelque chose suscitant la tristesse et la douleur mais sans s’appesantir dessus, une souffrance qui serait étudiée et combattue plus qu’une souffrance à laquelle on finirait pas se soumettre. On n’est pas dans le Funeral Doom d’ATARAXIE par exemple.

« React » ne se laisse pas apprivoiser immédiatement, et pour tout dire les premières écoutes ont été plutôt pénibles, jusqu’à ce que petit à petit, les ambiances tordues développées par IBOGAÏNES finissent par s’imposer d’elles-mêmes. La production crasseuse, qui peut être un frein au départ, aide finalement à homogénéiser les influences et les transitions entre les passages purement thrash et post hardcore, plus dissonants, se font tout naturellement. Les vociférations de Djil occupent une place prépondérante dans tous les morceaux, maintenant un niveau de tension élevé même sur des passages qui pourraient passer pour calmes, laissant peu de place aux instrumentistes pour s’exprimer en dehors de l’entretien de ce mur du son bâti par le groupe. Cela ne porte cependant pas préjudice aux morceaux, même s’ils paraissent quelque peu hermétiques au premier abord, et j’irai même jusqu’à dire que sans cela le groupe perdrait beaucoup de son pouvoir hypnotique.

Plus déstructuré et moins massif que NEUROSIS, moins mélodique qu’ISIS, IBOGAÏNE se situe à la croisée des chemins, usant de tempos rapides aussi facilement que de passages lourds, privilégiant les morceaux aux durées conventionnelles (4-5 minutes) et emmené par un chanteur possédé qui fait oublier à l’auditeur la densité des morceaux (qu’il se prend néanmoins dans la tronche). Sans atteindre la majesté des deux formations précitées, les Marseillais s’en sortent avec les honneurs dans un registre loin d’être donné à tout le monde d’aborder. Avec un premier album de cette trempe, le futur du groupe s’annonce sous les meilleurs auspices !


Rédigé par : Dungorpat | 14,5/20 | Nb de lectures : 11122