Ô combien de fois n’avez-vous pas entendu ou lu les propos de vétérans se tripotant mollement sur leurs éternels souvenirs d’anciens combattants et la rengaine du « c’était mieux avant » au parfum de naphtaline. Combien de fois n’avez-vous pas subi ces éternelles leçons de ce que la scène avait de meilleur dans de fastes années désormais bien loin des temps actuels ? Et si je parle si bien de ces passéistes souffreteux, c’est sans doute parce que je me retrouve souvent dans leur propos.

Vous remarquerez tout de même un détail troublant concernant le Hardcore. Les papys coreux qui s’extasient toujours sur les scènes de Boston ou de New-York ne parlent jamais de la scène française du milieu des années 80. Et pour cause… il n’y a pas grand chose à dire vu que c’était le désert total. Si les scènes punk et rock alternative étaient bien structurées et organisées, le Hardcore hexagonal avait tellement de métros de retard que c’était à se demander si une rame passerait jamais. Oui, c’était presque le désert mis à part quelques allumés au background punk se dirigeant inexorablement vers une musique plus extrême, plus brutale. Influencé par les DEAD KENNEDY’s, les BAD BRAINS, les MINOR THREAT, HEIMAT-LOS (ou HEIMATLOS par la suite) démarre en 1983 avec pour ambitions de jouer le plus vite possible et de tout défoncer. Après quelques années, une paire d’albums et d’EPs, les HEIMAT se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à ébaucher les bases qui donneront naissance au grindcore, NAPALM DEATH en Angleterre, SIEGE et DRI aux USA ou encore GAUZE et S.O.B. au Japon. Hélas, fatigué de ne pas voir une réelle scène se former en France, HEIMAT-LOS se sépare en 1988 après un ultime EP qui sera un véritable proteste contre la dérive outre-Atlantique du mouvement Straight Edge. Peu de temps après le Hardcore explosera en France et connaîtra un élan sans précédent. Trop tard, l’ère d’HEIMAT-LOS est passée et le groupe ne connaîtra jamais qu’un succès d’estime plutôt qu’une vénération méritée.

Ratbone, le label bordelais dirigé par Luc Ardilouze (le fanzine « Poulet Basquaise », c’était lui !) rend aujourd’hui un fort bel hommage à ces authentiques précurseurs du Hardcore français avec un double CD reprenant ce qui semble être la discographie totale du groupe soit pas moins de 90 titres pour une durée totale de 140 minutes environ. Pas étonnant qu’il ait fallu au sieur Ardilouze plusieurs années pour retrouver tous les enregistrements, de même que les flyers, articles de presse (Maximum rock’n’roll) et photos d’époque qui viennent agrémenter un livret de plus de 20 pages.

Petit bain de jouvence vers des temps reculés, ce double CD, en plus d’être instructif et bien fichu, permet de se remémorer l’esprit de toute une époque. Alors que de nombreuses formations audacieuses ont depuis planté leurs riffs dans la mémoire collective du Hardcore, HEIMAT-LOS reste quelque peu hors norme par son approche de la musique mais surtout des textes. Car la grande particularité des HEIMAT, c’était l’aspect multiculturel de ses textes.

Articulant ses textes engagés autour de sujets politiques et sociaux, HEIMAT-LOS était un groupe véritablement européen puisque s’exprimant en plusieurs langues : l’anglais, le français bien entendu, mais également l’espagnol, l’allemand, le finnois, le suédois voir même le russe. Le choix des langues utilisées étant soigneusement élaboré suivant l’aspect roulant, gutturale ou martial que le groupe voulait donner à tel ou tel morceau. Une singularité qui collait parfaitement à leur patronyme vu qu’HEIMATLOS signifie « apatride » en allemand.

Autre distinction sur le plan musical ce coup-ci, la majeure partie des titres de ces Parisiens étaient construits autour des vrombissements d’une basse monumentale adjoints d’une unique guitare aux sonorités très punk. Si HEIMAT-LOS se plaisait à jouer des morceaux courts et ultra incisifs, on notera tout de même l’apparition récurrente de lignes de guitare mélodiques toujours bien senties. Il n’y a que vers la fin de sa carrière et précisément avec leur ultime EP « Negative Mental Obsession » que le « son HEIMAT » changera évoluera vers quelque chose de moins radical, plus proche d’un hardcore mélodique.

Il faut tout de même préciser que ce double CD nous fait traverser des enregistrements de qualité variable et de productions fort logiquement inégales puisque nous sommes en présence de bandes d’époque ignorant encore la magie relative du numérique. Les variations sonores sont parfaitement supportables et le plaisir de retrouver les HEIMAT n’en est pas moins grand.
En fait l’unique reproche qu’on pourra faire à cette superbe initiative de Ratbone, c’est de ne pas avoir mis les œuvres dans leur ordre chronologique et que la tracklist manquant de détails rende difficile l’attribution de tel titre à tel album ou EP.

Pour les avoir vu une unique fois sur scène peu de temps avant leur disparition, j’avoue avoir rarement vu un groupe qui défouraillait avec une telle énergie, une telle détermination. Pas étonnant que les tendinites live de leur batteur ne soient devenues légendaires par la suite.

Plus qu’un témoignage, ce disque est une fenêtre ouverte vers la mémoire du hardcore français et à ce qu’il a eu de plus pur et dévoué dans les années 80. Un double CD qui mériterait toutes les sélections mais qui ne donnera jamais au groupe ce qu’il aurait tant mérité de son temps.


Rédigé par : Tonton | Compilation/ | Nb de lectures : 12774