Voyez donc comme les choses sont bizarrement faites, et comme le vent tourne vite... Si j'avais reçu ce mini l'an dernier à la même époque, je vous aurais probablement dit qu'il était sorti cinq ans trop tard pour produire un effet intéressant. Aujourd'hui... Et bien aujourd'hui c'est une autre histoire, car à l'heure où In Flames sont presque en train de tourner le dos à leurs fans (en tout cas c'est ce qu'on m'a dit), le constat est limpide : les groupes réellement dignes de marcher dans leurs traces encore fraîches ne sont finalement pas en quantité industrielle. Dark Tranquillity et Soilwork partis tout à leur honneur faire les stars dans une autre dimension, le terrain du pur thrash death mélodique de lignée Göteborg est livré aux seconds-couteaux dont aucun n'a encore fait l'unanimité dans l'estime du public. Dans ce contexte de grande redistribution des cartes, il n'est pas même incongru de voir un jeune groupe français lever une main assurée dès sa première réalisation pour réclamer sa part de l'héritage. Bien au frais derrière un design très classieux, les quatre morceaux de ce CD éponyme sont peut-être les racines d'un arbre qui, s'il connaît une croissance régulière et bien verticale, risque de faire de l'ombre à quelques uns. Haeresis ont pas mal de choses à nous expliquer, notamment comment aligner une paillassée de riffs courts et énergiques, aussi différents les uns des autres qu'une anguille d'un colibri, dans une organisation étudiée et avec des transitions coulantes qui leur donnent la même complémentarité consanguine que si chacun était une proche déclinaison de son prédécesseur, et ainsi de suite. Pour dire ça de façon moins absconse, le quatuor nous propose une musique hyperactive en perpétuelle évolution, qui n'en laisse pas moins une impression globale d'unité inébranlable, un peu comme les vagues qui s'agitent sans cesse à la surface d'un océan sans en troubler l'aspect de profonde sérénité. La technique est, pour ma perception certes peu pointilleuse sur les détails, au-delà de tout reproche, d'autant plus que les musiciens font d'évidence l'effort louable de ne pas jouer avec des œillères, ce qui signifie pas d'étalage de virtuosité superflu et respect total des lignes des petits camarades : et on en revient donc à la notion de complémentarité et d'homogénéité des compétences, soit tout ce qui détermine 1°) la facilité à trouver des enchaînements fluides, 2°) la capacité d'un line-up à grandir de concert sans que l'un ou l'autre membre reste un peu à la traîne. Concrètement, les morceaux se valent, même si j'ai presque le béguin pour " Lost and Wounded " et la petite leçon qu'il propose en ouverture, ou comment à partir d'un thème tout simple, seulement modelé selon différentes variations de tempo et d'habillage, on peut bricoler une intro parmi les plus percutantes que j'ai eu l'occasion d'écouter dernièrement. D'aucuns pourront arguer que les séquences mélodiques ne sont pas assez prononcées et un peu éparpillées dans l'œil du cyclone, mais pour ma part je trouve que l'équilibre est parfaitement conséquent, car Haeresis ne défendent pas une musique sociable et ne s'adressent pas forcément en priorité aux nostalgiques de la descente de manche et du solo, ils y préfèrent les breaks cassants et les charges méthodiques à coups de guitares corrosives. Malgré quelques accalmies toujours bonnes à traverser, le panorama qui domine est celui de gros nuages noirs chargés d'électricité prêts à déverser leur fureur en bourrasques serrées. Le chant est totalement en phase avec la musique, traditionnel pour le genre, mais avec une petite inflexion " evil " qui ne fait que renforcer la synergie des composantes et crédibiliser la volonté de jouer quelque chose qui fasse mal. Un groupe qui regorge de potentiel et semble motivé pour ne pas le laisser dormir éternellement, mais j'ai dit la même chose de tellement de jeunes premiers français dont on n'a plus ouï note depuis que je ne vais pas leur porter la poisse en leur prédisant déjà une carrière dorée. Par contre, je me dois de décerner une palme fournie à Deadsun Records, dont j'ai parfois gentiment fustigé les choix de signatures, pour la présence d'esprit de prendre Haeresis sous leur aile. Reçus 5/5 dans ma chaumière (ou presque en l'occurrence), Haeresis auront sauvé ma semaine, et rien que pour ça je leur tire doublement mon chapeau.


Rédigé par : Uriel | 4.5/5 | Nb de lectures : 7533