Le monde du one man band dépressif est une jungle hostile où le malheureux explorateur suicidaire aura tôt fait de tomber sur des péripéties risquant de mettre un terme à ces funestes projets. Rien de plus difficile que de réussir dans les longs développements cafardeux et minimalistes. Aujourd’hui, c’est un jeune projet français qui se frotte à cet exercice périlleux. Il s’agit du premier album de Rokkr qui fait suite à deux démos autoproduites et de deux splits parus chez Self Mutilation Services, le label des amoureux de la vie.

L’Ambient est un genre qui peut paraître facile au premier abord mais qui se révèle être d’une rare difficulté. L’artiste déambule constamment sur le fil du rasoir où le moindre écart peut plonger l’auditeur dans les bras de Morphée. Ainsi, ce Grisâtre me semblait encore être une longue torture où mon encéphalogramme serait bloqué en mode sommeil. En définitive, ce sera loin d’être le cas.

D’abord, et ce en dépit d’une durée conséquente de 54 minutes, le voyage se déroule assez rapidement. Le maître d’œuvre a eu pitié de son auditoire car sur six titres, nous n’avons le droit qu’à trois véritables titres d’une durée d’un quart d’heure chacun à peu près. Ces morceaux sont encadrés par des instrumentaux joués par un piano distillant une gravité funèbre qui se galvanise dans le fracas martial ou se perd dans des tourbillons fragiles. Soit, il s’agite d’interludes mais dont la durée moyenne est de plus de trois minutes quand même. Autant ce genre de structures plombe singulièrement certaines œuvres autant dans le cas qui nous occupe, c’est un élément salvateur créant une pause agréable entre les longues descentes neurasthéniques.

Hormis cela, ce Black se pare d’un classicisme certain pour le style. Les guitares grésillent, la voix se perd dans des râles spectraux et les arpèges viennent anéantir le peu d’optimisme qu’il nous reste. L’esprit d’un Xasthur plane jusqu’aux césures abruptes si caractéristiques entre deux mouvements différents.

Excepté que Rokkr ne se contente pas d’étirer mollement des riffs cafardeux, non, il parvient à varier ses compos en intégrant de nombreux motifs différents qui vont et viennent. De même, la rythmique ne se contente pas de jouer sur la lenteur et l’abattement mais se montre capable d’accélérations. D’autre part, c’est aussi une bonne idée de faire flirter certaines tournures avec un Post-Rock plus éthéré. De même, on ressent une légère touche épique lorsqu’un clavier sonnant comme des cuivres vient en soutien du propos. Une touche discrète mais qui apporte une profondeur et une véritable emphase à ces passages. Autre satisfaction, la prod et le rendu sont de bonne facture et agréables aux oreilles sensibles.

Bon, nous ne sommes pas en présence d’un chef-d’œuvre puisque d’une part on note un léger manque de personnalité causé par une trop grande proximité avec les collègues, Xasthur en tête ; et puis on sent quand même quelques légères longueurs. Il n’empêche que ce premier album passe plutôt bien la rampe et on sent une véritable maîtrise dans ce travail.

L’album ne va certes pas squatter tous vos instants dépressifs mais il aura quand même l’avantage de revenir de temps en temps car l’amateur trouvera suffisamment de passages émouvants pour adhérer à cette idée divine.

Il va sans dire que cet LP est à réserver aux inconditionnels du style. Si vous n’aimez que le Black qui fracasse de l’évangéliste à coup de blasts dévastateurs et de riffs acérés top ivöls, vous pouvez retourner brûler vos Playmobils missionnaires !


Rédigé par : Dark Rabbit | 13/20 | Nb de lectures : 12891