Et voilà, j'aurais du m'y attendre... et rester soupçonneux devant le fait qu'un album composé d'une seule plage de 60 minutes reçoive un accueil aussi chaleureux de la part de la presse metal à large distribution. Il y avait quelque chose de pas clair là-dessous, qui a bien vite fait de me sauter aux yeux: le nouveau Green Carnation est ce qu'il est convenu d'appeler un produit de consommation de masse, aussi faible soit la signification que prend ce terme rapporté au cercle restreint du marché metal. Loin des latitudes aventureuses et tortueuses de son intéressant prédécesseur "Journey to the End of the Night", "Light of Day, Day of Darkness" se contente de développer une sorte de gothic metal conventionnel parsemé des quelques signes particuliers sympho-atmosphériques qui le rendent si digeste aux yeux des journalistes. Sorti de ça, Mister Tchort se garde bien de trop gratter la surface, soucieux de garder son ambitieux morceau accrocheur jusqu'au bout. Pour ça c'est réussi, et "Light of Day, Day of Darkness" demeurera sans doute très longtemps comme un symbole, ne serait-ce que du fait qu'il explose le "Crimson" d'Edge of Sanity en terme de durée.

Néanmoins celui qui - comme moi - avait apprécié le début pour sa profondeur, son mélange de sobriété et d'extrémisme dans la mise à nu de sombres états d'âmes, ne peut que regretter le désistement des frères "In the Woods..." X et Christopher Botteri ainsi que de la chanteuse Vibeke Stene (Tristania). Privé de ceux de ses géniteurs qui avaient laissé la patte la plus marquante (celle d'un metal froid, complexe et raffiné au son acéré, farci d'idées audacieuses), Green Carnation devient une machine à riffs standards, faciles, voire parfois mous et monocordes qui servent le seul but de mettre bien en avant les éléments annexes plus enchanteurs que sont les orchestrations grandiloquentes, le toujours jeune orgue Hammond, les chœurs et un chant clair enjôleur entre rock et heavy, assez bien poli pour satisfaire le plus de monde possible sans froisser personne. Beaucoup trop rares sont les moments où un Tchort en mal de génie de composition ose plonger un minimum, et effleurer ce doux univers mystérieux, psychédélique et explorateur si cher à In the Woods... Même la partie ambient où la vocaliste Synne se laisse aller à quelques expérimentations déjantées manque cruellement de souffle, d'autant qu'elle apparaît très incongrue, plantée au milieu d'une musique tous publics comme une pustule suppurante sur un visage de pub Nivea Crème.

Attention, je ne cherche pas à amoindrir la qualité générale de l'album qui reste tout de même dans les sphères supérieures (normal pour du Prophecy !), j'exprime simplement le regret que Green Carnation se soient trop vite mis sur les rails d'une stratégie marketing implacable. Et puis chers lecteurs, gardez à l'esprit que c'est un accroc à la drogue In the Woods... qui écrit, et que la part de la désillusion compte pour beaucoup dans mon jugement final et dans le fait que je n'arrive pas à faire fondre la glace pour accorder à "Light of Day, Day of Darkness" le statut que beaucoup d'autres lui ont élevé. On peut aussi discuter sur l'opportunité de ne pas avoir morcelé l'album en quelques plages. Bien sûr il est agréable de savoir qu'en un temps où la mode est au hit carton emballé en trois minutes chrono il y a encore des gens qui ont le cran de bâtir une telle fresque, mais l'inconvénient est qu'il faut faire attention de ne pas presser la touche "skip" par lassitude, de peur de revenir au début du morceau, ce qui pourra en gêner certains. Reste comme sur l'album précédent le brillant travail graphique et photographique autour des teintes et paysages de l'automne qui font du livret un objet particulièrement admirable pour l'oeil.




Rédigé par : Uriel | 14.5/20 | Nb de lectures : 8134