Le cadre est un pub d'Oslo, à la dominante rouge. L'homme décharné est accoudé au bar, tenant délicatement le pied d'un verre de vin rouge. Tout vêtu de cuir, il écoute avec attention la question de son interlocuteur: "Quelle est l'idéologie fondamentale de la musique de Gorgoroth ?". Un moment de silence s'ensuit, interminables secondes qui plongent le spectateur dans l'incompréhension. L'interviewé a parfaitement compris la question, mais il ne livre pas la réponse si évidente. Réponse qui lui paraît tellement logique qu'il n'a aucune raison de la donner. Le temps s'écoule et le malaise grandit. Puis, dans un bruissement de cuir libérateur, il souffle de sa voix basse "Satan" avant de porter le verre à ses lèvres et de boire une gorgée du sang de la Terre.

Ce court extrait du documentaire "Heavy Metal: Voyage au coeur de la bête" a marqué tous les spectateurs. Gaahl se met en scène tel qu'il veut que Gorgoroth soit perçu. Malsain, puissant et dominateur. Gorgoroth, un des derniers bastions de la scène norvégienne à remplir les news de ses frasques et démêlés avec la justice. Gorgoroth qui cultive son attitude black metal sans oublier de nous livrer des albums, certes plus ou moins inspirés, mais toujours extrêmes. Après le changement engendré avec "Twilight of the Idols", il est plus que temps de se pencher sur cette septième offrande de la bande à Infernus.

Gorgoroth a évidemment évolué tout au long de sa discographie. On est maintenant éloigné des premiers brûlots que sont "Pentagram" ou "Under the Sign of Hell". Après les deux tâtonnements "Incipit Satan" et surtout le chaotico-bordélique "Destroyer", les Norvégiens ont semblé explorer une nouvelle voie avec "Twilight of the Idols". Ceux qui lisent la presse nationale savent que le changement musical chez les quincailliers du grand nord vient du bassiste King ov Hell. Arrivé dans le groupe en 1999, ce dernier a pris au fil du temps la direction musicale de Gorgoroth, allant jusqu'à composer seul le dernier album de la bande. Ce "Ad Majorem Sathanas" est donc la suite logique de "Twilight of the Idols", Infernus n'ayant apparemment pas apporté sa touche à l'objet.

Gorgoroth confirme donc sa dernière orientation, en conservant les caractéristiques du groupe (un black efficace, haineux et ancré dans la tradition) et en gardant une production bien maousse pour le genre. Tant qu'on parle prod, les Norvégiens n'ont pas pu enregistrer dans la forteresse mythique du Grieghallen pour cause de planning chargé du studio. Et bien tant mieux, car le son de cette nouvelle galette est plus dense et sourd et donne au groupe une puissance qu'il n'avait pas encore atteint. Herbrand Larsen, le clavier d'Enslaved, a encore réalisé un travail de qualité.

"Ad Majorem Sathanas" est court. A peine 31 minutes et tout est dit. En fait, il est calibré de la même manière que les 32 minutes de "Twilight", avec une structure très proche. On sent dès les premières secondes que le groupe a pour volonté de pilonner l'auditeur, de le faire basculer dans son monde démoniaque sans aucune échappatoire. L'album est certes court mais puissant, plus puissant que son prédécesseur dont certains titres centraux faisaient remplissage. Ici, on trouve beaucoup moins de temps morts, du carton "Wound Upon Wound" qui ouvre les hostilités au mid-tempo inquiétant de "Sign of an Open Age". Les riffs sont plus acérés, comme le montre l'excellente ouverture de "God Seed" (extrait sur le site) ou l'outro de "Exit" qui laisse l'auditeur totalement sur sa faim de riffs.

En plus du bon travail instrumental, Gaahl impressionne par sa présence. Le poumon du groupe exulte sa haine dans des hurlements de damnés à réveiller les enfers. Le vocaliste livre ici une palette de hurlements plus vaste qu'à l'accoutumée. J'en salive d'avance pour les prestations live. Et après une énième rotation de personnel, c'est le stakhanoviste Frost qui vient livrer ses parties de batterie. Toujours impeccable, le bretteur porte haut les compositions de King ov Hell et donne tout le relief et la patate nécessaires à cet album.

En parlant de rotation, l'avenir du groupe est bien sombre. Après la mise en cage de Gaahl (encore) et le futur juridique incertain de Infernus, c'est King ov Hell qui a pris la porte fin juin pour aller voguer avec Sahg et I. C'est clairement la fin d'une période pour les Norvégiens et j'attends de voir comment ils vont encore parvenir à rebondir après ces nouveaux coups du sort.

En attendant, Gorgoroth nous donne encore une fois la petite claque, nous jetant en pâture la plâtrée que la meute attend en aboyant. Les nostalgiques des premiers opus qui n'ont pas adhéré à l'évolution en seront pour leurs frais. Il n'y a rien de novateur dans ce black-là mais Gorgoroth a bel et bien changé. Ce serait dommage de s'en priver. The Master is coming! Hail Satan!


Rédigé par : Prince de Lu | 16/20 | Nb de lectures : 16114