Rimfaxe est le cheval que chevauche la déesse Nótt dans la mythologie nordique, celui qui traverse le ciel nocturne pour apporter la paix aux dieux endormis. Outre cet avantage physique indéniable pour remporter le galop à Vincennes, le nom de la créature onirique est également le titre du quatrième album de Gjallarhorn. Après un classique mais efficace "Ranarop" en 1997, les Finlandais ont commencé à fusionner leur style avec une musique plus moderne, ambiances doucereuses et plus électroniques mixées avec la tradition séculaire. Si "Sjofn" reste fortement ancré dans le traditionnel, "Grimborg" sorti en 2002 franchit le pas de la fusion.

Originaire de la partie suédoise de la Finlande, le groupe est bien plus proche de la Norvège et la Suède que de la musique traditionnelle de ses compatriotes. "Plus proche" est évidemment à prendre avec des pincettes. Si Gjallarhorn se base sur des structures traditionnelles, le groupe oriente de plus en plus sa musique vers des sonorités actuelles, y mêlant également des percussions orientales. Cette musique donne son sens au mot "world" et rappelle parfois les mélanges osés comme peuvent en tenter des groupes comme Afro Celt Sound System. Mais n'ayez pas peur de cette dernière référence, Gjallarhorn reste farouchement ancré dans la musique scandinave malgré la curiosité dont font preuve ses membres. Que ce soit par les vocalises aériennes et aiguës de Jenny Wilhelms ou par les thèmes traditionnels repris, tout se rattache à la tradition suédo-norvégienne.

Le titre "Blaken" a particulièrement attiré mon attention. Ma mémoire a gravé en profondeur la version de l'excellent album "Rosensfole" d'Agnes Buen Garnås et Jan Garbarek. Tirée d'une chanson médiévale, cette précédente mouture offrait déjà une orchestration moderne rythmée, avec notamment l'intervention d'un saxophone. Gjallarhorn reviste complètement le morceau en lui insufflant un groove oriental très prenant. L'album est résumé à cette seule réussite: extraire le traditionnel de son carcan et l'intégrer dans un nouvel univers pour lui donner une nouvelle vie. Que les titres soient rythmés ("Kokkovirsi", "Sylvkla", les "Taklax") ou atmosphériques ("Rimfaxe", "Hymn"), Gjallarhorn met un point d'honneur à innover et proposer.

Si l'enregistrement de l'album a encore une fois été confié au fidèle Martin Kantola, le "design" du son a été confié à l'Américain Bruce Swedien. Dans le milieu du métal, notre homme est parfaitement inconnu, mais il a eu en charge le son de deux-trois albums un peu diffusés ("Thriller" d'un certain Michael Jackson, Mick Jagger, Paul McCartney, Donna Summer, B.B. King, etc. La liste est aussi longue que notre homme est vieux). Ce bouleversement des habitudes de production s'en ressent énormément. La production est plus riche, l'espace sonore paraît infini comme dans la bande-son d'un film hollywoodien. En parlant de film, certains passages ne sont pas sans rappeler la puissance des cuivres des génériques de James Bond. En tout cas, ça pète et ça soutient la musique avec énergie.

"Rimfaxe" est un album riche. Son manque d'agressivité le réserve aux amateurs d'atmosphères cotonneuses et de groove tranquille. Mais si vous êtes client, vous ne serez qu'épaté par toutes les bonnes idées de Gjallarhorn, par la richesse de leurs compositions et la profondeur des orchestrations. Sans être un must, voilà un album à chaudement recommander aux auditeurs de musique ouverte sur le monde.


Rédigé par : Prince de Lu | 16,5/20 | Nb de lectures : 13434