Matthieu: Accoucher d’un successeur à « Guided by fire » semblait chose difficile tant ce dernier était d’un très haut niveau. L’émotion palpable et l’âpreté dégagées prenaient à bras le corps l’auditeur. De nombreux vents d’éloges ont soufflé sur cet album.
C’est à peine deux ans plus tard que les finlandais reviennent avec un nouveau rejeton, « Isolation songs ». Et forcément, ce petit souffrira de la comparaison avec son grand frère qui a déjà tout fait, tout bien et mieux que les autres.

À la première écoute, la déception. L’album est bien, bourré de mélodies, mais sans ardeur, trop lisse…
Mais ce n’était que la première écoute, et « Guided by fire » était encore trop brûlant dans mon esprit. Il me fallait le mettre de côté et me pencher sincèrement et sérieusement sur cette nouvelle offrande. Car connaissant les animaux, qui ont déjà du mal à parler de leurs influences, ce nouvel opus a immanquablement quelque chose de spécial.
Et il est bien différent du précédent.

Pour rassurer les fans, mais vous avez pu vous faire une idée en écoutant l’album en intégralité sur le myspace avec un son tout pourri, ce nouvel opus est une suite logique et sans surprise stylistique. Vous retrouverez avec plaisir ce chant qui oscillent entre KATATONIA (clair) et NEUROSIS (hurlé râpeux), ces arrangements de guitare étranges qui définissent GHOST BRIGADE, cette batterie lourde, ces synthés subtils, cette douceur intégrée à la tempête. Le talent de composition est toujours là.

En revanche, je reste partagé. Même si l’album fait mouche, qu’il est plus long (1h ici contre 45 minutes), que la production est sans faille, que tout coule, il y a un je-ne-sais-quoi de trop lisse, de trop convenu qui s’en dégage. En effet, les chansons sont si parfaites, riches en mélodies, qu’elles semblent ne jamais pouvoir sonner différemment. Chaque chanson a un potentiel de single (« My heart is a tomb », « Into the black light », « Concealed revulsions » ou « Birth » parmi les plus évidentes, sans oublier la beauté aérienne de « Storm inside »). Rien ne semble vouloir heurter ou agripper. L’âpreté de la noirceur du combo s’est effacée devant une atmosphère planante de désillusion désincarnée à la KATATONIA (période actuelle, plutôt que « Brave murder day »). Même la voix hurlée semble poussive. Je retrouve même une once de la pop du KLIMT1918 de « Undressed Memento ». Comme si les ardeurs des finlandais s’étaient calmées pour laisser place à des sentiments plus profonds, moins violents.
Une douce mélancolie contemplative, toujours noire pourtant, a pris la place du gargouillis malsain.

Mais ce constat est vite balayé en lâchant prise, en se laissant couler dans le fleuve des mélodies.

Cet album est exceptionnel par sa richesse mélodique, par son fourmillement d’idées. Les arrangements sont d’une subtilité incroyable. L’apport du piano et du violoncelle à certains endroits transcende la pureté mélodique des arpèges de guitare (« Lost in the Loop »).
L’excellence est évidente sur l’instrumentale « 22:22 - Nihil ». Le chant est absent mais ne manque pas. Les textures oscillantes se suffisent à elles-mêmes. Et l’on se surprend à en redemander.
Et quand arrive le rouleau compresseur de « Architect of new beginnings », on se retrouve cloué au mur, sans arme, estomaqué.

Vous l’aurez compris, cet album est tout autant le digne successeur de « Guided by fire » qu’un rejeton qui n’en fait qu’à sa tête. Il a la même force mélodique, la même force écrasante, mais il possède une subtilité plus élevée. Il fait montre de douceur et non d’oppression. Et peut-être est-il plus abouti et supérieur dans sa sagesse et sa beauté…
GHOST BRIGADE a mis un peu de peinture sur la rouille de son cuirassé-blindé. Ils ont visiblement pris le temps pour arrondir les angles et offrir un bijou taillé avec grand soin. « Isolation songs » est à ranger aux côtés de « Guided by fire ». Aussi semblables et différents que des frères, ils ont leurs propres forces et leurs propres faiblesses, leur propre dimension. Ils se suffisent à eux-mêmes. Essayer de les comparer, c’est s’embrouiller et perdre de vue la véritable essence de chacun.

GHOST BRIGADE, au sommet de son art, assume son côté pop, tout en restant du côté obscur. Ils nous réservent certainement de bonnes surprises pour la suite, tout en espérant qu’ils ne mollissent pas.

Note : 16/20

Rahahaaz : En 2007, « Guided By Fire », le premier album du combo finlandais Ghost Brigade, avait fait son petit effet et récolté une brassée de louanges. On y découvrait un groupe étonnamment mûr pour seulement deux ans d'âge, porté par une musique sobre et chic, au carrefour du death mélodique et d'un postcore édulcoré. C'est donc animés des meilleurs sentiments que nous nous sommes penchés sur « Isolation Songs », le fameux « sophomore album » casse-gueule comme pas deux, redouté s'il en est.

Ghost Brigade démontre ici tout le talent qu'on lui connaissait déjà, mais sans toutefois se réinventer le moins du monde. Il ajourne son rite initiatique. Avec la belle longueur d'avance prise sur « Guided By Fire », les Finlandais semblent avoir joué la sécurité et pondu un « Volume 2 » au sens premier du terme : une collection de chansons dans la parfaite lignée de l'album précédent, tout aussi dénuée de faux pas que de surprises. On retrouve donc ces constructions héritées de la pop, habillées d'un metal mélancolique qui doit beaucoup à Katatonia et rappelle aussi parfois le meilleur de Tiamat. Le chant de Manne Ikonen alterne toujours entre parties aériennes et arrachées, ces dernières raflant tout de même les 2/3 de l'occupation du cadastre vocal et justifiant du même coup la comparaison avec Neurosis qui revient systématiquement à propos du groupe. Plus dangereux en revanche : on décèle ça et là, principalement sur la fin de l'album, quelques incursions en territoire gothique comme sur ce « Concealed Revulsions » aux accents appuyés de To/Die/For. Pardonné pour cette fois, mais à surveiller.

« Isolation Songs » est lisse et travaillé, et c'est fort probablement ce que la fanbase de Ghost Brigade attendait en priorité de ce nouvel album. Mais en évitant soigneusement toute prise de risque, le groupe n'a fait que repousser l'échéance qui l'attend. Il lui faudra en effet amener un petit « plus » afin de confirmer les espoirs très tôt placés en lui. Sortir des albums « Xerox » est un luxe que peuvent se payer AC/DC ou Iron Maiden, deux dinosaures détenteurs du copyright d'un style unique dont ils sont les créateurs. Pour la foule de tous les autres, dans laquelle Ghost Brigade n'est encore qu'un visage presque anonyme, la pérennité passe par le renouvellement. A dans deux ans !

Note : 14.5/20


Rédigé par : Matthieu & Rahahaaz | 16/20 - 14.5 | Nb de lectures : 12005