La vélocité et la brutalité du metal extrême font de notre genre musical favori un candidat idéal pour la bande originale de notre époque. On passe le plus clair de notre temps à courir et à se prendre des tartes dans la gueule sans forcément en comprendre les raisons. D'où cette nécessité de faire halte parfois, découvrir un refuge consacré aux activités contemplatives, se retrouver soi et observer la fuite du monde. C'est précisément ce que propose le compositeur Thierry Arnal dans son projet FRAGMENT, qui explore depuis 2006 les territoires brumeux du drone/ambiant. Seul maître à bord, l'homme multiplie les sorties sur différents labels jusqu'au split avec IROHA chez Denovali records (un des meilleurs labels que je connaisse, dont chaque sortie est un festival pour les oreilles et la matière spongieuse qui flotte entre les deux). Loin d'être à court d'idées, Arnal revient en 2011 avec un nouveau fragment de son œuvre sobrement intitulé « Home » pour lequel il s'adjoint les services de Nicolas Dick (Kill The Thrill).

Deux titres – Home I et II – qui totalisent pas moins de cinquante minutes d'un mélange de drone doom et de shoegaze en immersion totale. Une formule qui, si elle n'est pas fondamentalement originale se révèle ici parfaitement maîtrisée. FRAGMENT opère une fusion remarquable de ses influences principales – GODFLESH et LOW – pour un résultat qui évoque irrésistiblement le JESU du père Broadrick dans sa capacité à recréer l'ivresse du scaphandrier. En effet, « Home » n'est pas de ces albums que l'on peut se contenter d'observer passivement du rivage, on risquerait alors de n'apercevoir que le scintillement de lueurs étranges à la surface de l'eau. La seule manière de jouir du voyage consiste à plonger dans les profondeurs ouatées, sombrer sans offrir de résistance.
La première piste de l'album joue énormément avec les effets de surface ; des boucles électroniques qui s'enroulent sur elles-mêmes, des accords de guitare massifs qui se diluent dans l'immensité du paysage sonore, quelques textures noisy et ce chant typé shoegaze, comme un écho d'une présence humaine dont on viendrait à douter. On évolue clairement dans un registre émotionnel où l'abandon est bien plus nécessaire que souhaitable. Vingt-six minutes de plongée à l'intérieur d'un kaléidoscope en mouvement dont les fragments détruisent et reforment à l'infini un thème musical fuyant.
A ce stade, la plus grosse erreur serait de vouloir reprendre sa respiration. La seconde piste emmène un peu plus loin ceux qui passeront en mode Jacques Mayol. D'ailleurs, la coupure entre les deux titres semble artificielle dans la mesure où "Home II" se contente de condenser et épurer les éléments de sa première partie. Exit les éclats lumineux du chant ou les repères rythmiques de la batterie, le morceau s'enfonce dans une matière changeante uniquement composée de progressions ambiant noise. Jusqu'à cet état de félicité où, dépourvu d'indices spatiaux ou mélodiques, l'auditeur se trouve face à la nudité de ses émotions. Dans le fond, rien de bien neuf dans la cohorte de groupes post-metal qui font régulièrement l'éloge de l'indolente lourdeur, les amateurs pourraient même faire la fine bouche. Un bel effort doublé d'un travail brillant en ce qui me concerne, à la fois alternative à la douleur et no man's time salutaire. Prenez votre temps.


Rédigé par : #Guillaume# | 16/20 | Nb de lectures : 12091