Cette réédition opportune, alors qu’EVOKEN est sur le point de jouer au prochain Roadburn invités personnellement par Tom G. Warrior, nous rappelle qu’entre deux disques d’EVOL et de black-metal franchouillard de seconde zone, Christian Bivel et ADIPOCÈRE avaient parfois le nez creux et savaient être les premiers à miser quelques brouzouffs sur de jeunes premiers, quitte à les voir ensuite décamper ailleurs pour faire fructifier leur talent. En plus donc d’avoir donné leur première chance à MOONSPELL (‘Under the Moonspell’) ou DIABOLICAL MASQUERADE, Bivel, qui était aussi ouvertement un gros fan de doom/death, avait lancé quelques belles découvertes dans le genre, dont CELESTIAL SEASON, les oubliés SPINA BIFADA et donc EVOKEN.

En 1994, on ne parlait pas encore de ‘funeral doom’ : seuls les très isolés THERGOTHON avaient osé aller aussi loin dans la lenteur et la morbidité et ils étaient d’ailleurs sur le point de rendre les armes. SKEPTICISM n’avait même pas encore sorti son premier album et SHAPE OF DESPAIR n’allait pousser ses premiers vagissements que l’année suivante, sous le nom de RAVEN. En gros, à part les Australiens de DISEMBOWELMENT et WINTER, 99% de la planète s’en foutait comme d’une guigne du doom et préférait sur focaliser sur le death, ‘la’ tendance du moment. Et ‘Shades of Night Descending’, en fait le tout premier enregistrement d’EVOKEN sorti initialement en démo, n’échappe pas totalement à la règle… On a ici clairement affaire à un (jeune) groupe, qui cherche encore ses marques. Plutôt que de ‘funeral doom’, on pourrait presque plus parler ici de death ralenti au maximum, même si quelques brusques accélérations apparaissent encore ici et là comme sur le morceau-titre par exemple, avec un soupçon d’ambiances à la limite du black-metal.

Malgré tout, entre deux couches de gras, on se rend compte que les futurs points forts du groupe étaient déjà tous plus ou moins en place, comme ces arpeggios spectrales, cette façon qu’a parfois la batterie de s’effacer complètement, cette intro très ‘dark ambient’ et sombre, (qui me rappelle celle du morceau « Forlorn » des oubliés de MINDROT) ou cet écho permanent qui donne au lot des relents de caveau humide. Sauf que même si les Américains avouaient déjà l’influence majeure de THERGOTHON, flagrante sur « Into the Autumn Shade » et qui les a poussés à piocher leur nom dans un titre de l’unique démo des Finlandais, les quelques poussées d’hormones un peu tâcherons qui subsistaient encore dans leur musique, comme les blasts qui ouvrent « Towers of Frozen Dusk », ruinaient un peu leurs efforts. Sans parler de cette production manquant de profondeur qui a tendance à tout mettre au même niveau et donc rendre leur propos un peu plus confus…

Reste qu’il faut bien commencer quelque part. Et lorsque l’on sait que ces trente-huit premières minutes de désespoir ont été composées alors que le groupe existait à peine depuis un peu plus d’un an et qu’il n’avait encore donné aucun concert, on mesure d’autant mieux l’énorme potentiel qui s’en dégageait alors. Cette réédition est d’ailleurs d’autant plus classe qu’en plus d’une toute nouvelle pochette au ton nettement plus adapté que les deux précédentes – une gravure du XIXème siècle pour la version démo et un paysage maussade aux couleurs violettes (?) pour la version ADIPO – on a droit en bonus aux enregistrements ‘Promo 96’ et ‘Promo 97’. Soit trois titres supplémentaires, plus deux outro, bien épiques qui non seulement prouvent combien le groupe avait alors progressé mais qui doublent aussi tout simplement la durée totale de ‘Shades’, sans parler du fait qu’un seul (« Embrace the Emptiness ») d’entre eux a été par la suite réenregistré par le groupe.

Bref, aussi cru et imparfait que soient les enregistrements qu’elle contient, cette réédition a un double avantage : nous éviter de banquer des sommes ridicules pour dénicher la version originale sur Ebay et nous rappeler que dès 1994, EVOKEN avait su dénicher un passage secret menant directement aux catacombes. Vivement le Roadburn !


Rédigé par : Olivier 'Zoltar' Badin | Réédition/ | Nb de lectures : 13022