Pré scriptum: pour l'impatient qui n'a pas envie de se taper une chronique logorrhéique... passe directement aux derniers paragraphes


Ado boutonneux et, de par le fait, mal dans sa peau (dans son cas, un vélin huileux mal réparti sur un corps large à la ceinture mais rabougri du côté des guibolles), Thierry, personnage anonyme, incarnation de notre puberté refoulée sous des souvenirs plus agréables, a du mal à séduire. Ses parades amoureuses sont d’autant plus maladroites qu’il ne sait pas quoi leur dire, aux femelles. Parler cinéma quand on ne connaît que le porno, le gore ou le porno gore... Parler musique quand on n’écoute que du Thrash, du Death, du Gore Death voire du Porno Grind Gore... Autant se coller l’étiquette “pervers” et afficher un look à la Josef Fritzl.

Pour faire passer la pilule et alimenter les conversations, l’amateur de Metal a su s’inventer une légitimité.
- “Ouiiii, tu vois, du point de vue historico-musical, toute la musique moderne dérive du jââââzz. Le Metal aussi, bien sûûr. Mais je te promets que, contrairement au reste des merdes que tu écou.. - qui passent à la radio, tu y retrouveras de nombreuses influences classiques. Du Beethov, Mahler, Brahms. Du Vivaldi, mais oui!!
- Ouaaaais mais tu vois, moi j’écoute plutôt de la Dance, tu vois?
- Ah mais attention, je te parle d’une musique à la fois technique, cérébrale et émotionnelle...
- Attends, j’t’arrête! Si c’est pour me prendre la tête, ça va pas l’faire tu vois? Pis le Metal, c’est pour les tarés. T’es un violent, c’est ça?
- Mais non, mais t’y es pas du tout. C’est juste une réputation véhiculée par les médias... transfert... blablabla... exprimer ses pulsions.. blablabla... refouler... blablabla... Freud, Lacan... blablaenculer ta mèreblablabla... tiens, je t’ai gravé un CD. Tu l’écouteras??”

Ahhhh, le fameux CD. On l’a tous fait, non? Et les arguments merdiques, poisseux de culpabilité pour un style que l’on vénère mais que personne ne comprend... Inutile de dire que cette fois-là, pour Thierry c’était ceinture/branlette en solitaire (rassurez-vous bien plus tard, il s’est découvert un talent pour la bouffe, et là...)

Fiction?? C’est pourtant fréquent, sur les forums ou dans les commentaires, de voir ressortir ces vieilles rengaines, comme une mauvaise habitude, un besoin de se convaincre que l’on n’écoute pas une musique de dépravé psychopathe peut-être. “Machin” fait du Jazz Metal, du Metal Jazz, du Jazz Death... Et toujours un intégriste (qui s’assume peut-être plus) de répondre: “le Jazz, ça n’a rien à voir, je le sais, j’ai la disco de Miles Davis sur mon hard drive”. Débat sans fin, comme toujours.

Pour anticiper les commentaires, et parce qu’un ado frustré sommeille en moi, je me suis permis cette petite fantaisie:
• JAZZ, subst. masc.
Musique moderne d'origine noire-américaine répandue dans le monde entier, caractérisée notamment par l'improvisation, un traitement particulier des sonorités et des accents rythmiques syncopés.
Rem. En raison de la diversité du jazz et de son évolution, il est difficile d'en préciser la nature et les limites. Le jazz recouvre des genres musicaux variés où l'improvisation a plus ou moins de place, allant du folklore noir de la Louisiane à des formes symphoniques très élaborées.

Ainsi, parmi les groupes pour lesquels il est légitime de revendiquer une quelconque influence Jazz, EPHEL DUATH est sûrement celui qui fera le moins débat. Depuis “Painter’s Palette”, oeuvre géniale et complexe, marquée par un changement brutal de direction musicale, le “Black Metal” originel de “Phormula” a fait place à un Metal Core fortement teinté de Jazz (donc). Depuis, EPHEL DUATH n’a cessé d’évoluer vers une musique à la fois expérimentale, innovante et personnelle sous la houlette de son maître à penser: Davide Tiso.

Davide, ça doit être le genre de mec qui s’emmerde vite. Pas le genre à mater 3 heures de Thalassa sans zapper sur National Geographic. Après avoir entièrement renouvelé le line-up du groupe pour la sortie de “Through my Dog’s Eyes” (les baguettes y sont tenues par Marco Minnemann, ex-NECROPHAGIST et le chant est assuré par Guillermo Gonzales), le gars Davide se prend à imaginer le monde vu par son chien. Il a d’ailleurs bien fait de pas choisir le mien, parce que là, c’est pas un album qu’on écrivait, c’était trois chansons: “sieste”, “croquettes”, et “facteur”. Bref, v'la le concept album qui débarque, dans un esprit toujours plus barré. Mais de là à remuer la queue...

Tenter de définir la musique d’EPHEL DUATH avec précision, c’est comme titiller le ressort d’un piège à loup. A un moment, t’es sûr de te faire planter. En constante évolution, que ce soit entre albums, au sein d’un album ou au sein d’un morceau, les nuances sont multiples. Pour faire simple, et sûr: sur son dernier album, EPHEL DUATH fait du EPHEL DUATH.
“Through my Dog’s Eyes” assemble les multiples influences qui existaient déjà sur “Pain Necessary to Know”: le jazz, le core, le Metal (un peu)... mais le “groupe” y insuffle en plus de forts éléments rock, punk-grunge (par petites touches), orientant cette fois ses compositions vers une musique souvent plus accrocheuse, plus directe, presque “pop” par moments. On ressent une forte affinité avec Mr Bungle, Frank Zappa. Le nouveau vocaliste officie d’ailleurs dans un registre très Mike Patton-esque, plus varié, moins écorché que son prédécesseur. Au-delà de cet aspect plus fédérateur, on retrouve néanmoins les syncopes, les circonvolutions éthérées des guitares, le travail tantôt délicat tantôt énergique de la batterie. Des mélodies complexes, des atmosphères où les sonorités “jazzy” comme les lignes de basse virtuoses sont tout de même moins présentes qu’auparavant.

Dans cette toile toujours complexe, EPHEL DUATH trompe constamment les horizons d’attente, surprend, rebondit, émeut, invite à la réflexion. Si je reste quelque peu déçu de l'évanouissement progressif des nuances jazz, le groupe réussit par contre la performance d’intégrer et d’évoquer au travers leur musique le concept canin avec humour, si ce n’est poésie. Une idée qui au départ pouvait paraître lourdingue semble plutôt sympathiquement naïve, bonhomme, à l’écoute du disque, quant à réussir à scénariser certains passages en maintenant la trame d’une musique alambiquée et cohérente... on touche l’essence même du talent.


Rédigé par : La Myxine | 16/20 | Nb de lectures : 11889