Voilà un album que je n'attendais pas vraiment la bave aux lèvres à l'origine, mais puisqu'on me l'a gentiment confié autant m'en occuper prioritairement. Pour autant que je sache, chaque album d'Enslaved depuis "Frost" est plus ou moins soumis à controverse pour des raisons que j'ignore, car je me suis précisément arrêté à "Frost". Ceci dit, à la découverte de "Monumension" j'ai comme le pressentiment que nombre de soi-disant puristes du viking metal vont se faire un devoir de mettre de côté quelques cubitainers de salive à cracher sur Grutl et sa troupe.
En effet il est bien loin le Enslaved des longs épitres black-metalliques enragés transis par le permafrost, si loin même que rarement j'aurais été autant en rade pour décrire un album.

Celui-ci s'ouvre sur une noyade, celle de l'âme en peine qui hurle dans le lointain sur l'intro planante mais résolue de "Convoys to Nothingness". Le morceau est long, riche en riffs novateurs et - on le sent sans cerner encore pourquoi - excellent. Mais surtout on comprend tout de suite que l'écoute sera éprouvante, comme une plongée au cœur d'un labyrinthe de pierre froide et suintante où l'on craint de croiser un minotaure à chaque embranchement. Comment réagir devant un "Vision : Sphere of the Elements" qui aligne coup sur coup une rythmique core digne de Rage Against the Machine et un solo à la "Welcome to the Jungle" de Guns N'Roses au milieu d'un morceau protéiforme et inclassable, tantôt clean et ultra agressif, tantôt rauque et originel ? Pas le temps de se remettre qu'on enchaîne avec "Hollow Inside", titre lent dont plus de la moitié est consacrée à une dérive atmo-rock avant l'emballement final lourd et, encore une fois, difficile à digérer d'une seule traite. Le chant clair y est étonnamment bon et... clair - c'est idiot mais c'est ce que j'ai trouvé de mieux.

Le bizarre (c'est presque normal ici) "The Cromlech Gate", toujours sur un tempo lent aux guitares ballottantes et mécaniques qui servent de décor à un combat chant déprimé contre vociférations malsaines, se permet d'introduire les accords spectraux d'un orgue Hammond ! Rebelote sur "The Sleep: Floating Diversity", où aussi bien le chant que le cadre musical font jaillir plus que des réminiscences de Roger Waters sur "The Wall", et on se prend à croire qu'Enslaved se veulent les précurseurs du "Pink Floyd black metal", voire par extension la relève des très regrettés In the Woods (?). Autre morceau: les premières secondes de "Smirr" font croire qu'on aura droit à un retour aux sources avec tempo colérique et vocaux écorchés, mais ça ne compte pas vraiment puisque les instants qui suivent sont aussi barrées que le reste du CD, fruits d'un accouplement improbable de styles (doom, power, black metal, etc.) poussés dans leurs derniers vices. A ce stade là de l'écoute impossible de remettre ses idées à l'endroit, et il faut bien en guise de bonus track ce magnifique morceau en forme de poème eddique dans la tradition d'un "Yggdrasil", déclamé sur un fond mi-indus mi-tribal, afin de terminer sur une note un peu plus traditionnelle.

Vous aurez remarqué que pas mal de groupes ont été cités en référence au long de cette chronique, et la liste n'est pas exhaustive. En y réfléchissant bien, chacun pourrait retrouver un peu de ses artistes favoris à un moment ou à un autre. J'en connais même qui diront qu'Enslaved a lapé du riff dans l'écuelle de Kreator, mais il ne faut pas s'y tromper car les kréateurs sur ce coup là ce sont bien Enslaved et personne d'autre ! En mal d'arguments je me contenterai de certifier que " Monumension " est un album de metal sombre, âpre, tout aussi puissant qu'atmosphérique, dont une grosse partie de la qualité vient de la démarche audacieuse du groupe de s'aventurer dans une direction musicale où personne n'avait posé de jalons fixes. Je pense que tout s'y résume à une question de feeling. Si on l'a c'est tout bon, sinon l'album restera impénétrable jusqu'au découragement.




Rédigé par : Uriel | 8/10 | Nb de lectures : 8537