Ca y est, le nouveau Enslaved est là. Après l’escapade progressive de Monumension, l’attente se faisait longue. D’un côté les fans du début, adeptes des œuvres viking Frost et Eld, qui n’attendent qu’une chose : que le groupe revienne à ses premiers amours. De l’autre, les personnes qui sont tombées sous le charme psychédélique et progressif du précédent album. Qu’allait donc pouvoir faire le groupe ? Continuer dans l’expérimentation ou faire machine arrière avec le drakkar pour récupérer les quelques vikings partis voir chez Thyrfing et consorts si on y est mieux ? Et bien un peu des deux en fait, l’album Monumension à laisser des traces, c’est certain. Le groupe continue à jouer la carte de l’expérimentation (de façon plus modérée que précédemment) mais n’hésite pas a regarder en arrière et à s’inspirer de ses œuvres passées, surtout dans la recherche des atmosphères qui le caractérise. Sans être aussi déroutant et expérimental que Monumension (à l’époque, ce dernier avait fait couler beaucoup d’encre, tant il différait avec le reste de la discographie du groupe), Below the lights reste quand même un album de métal extrême peu conventionnel ou de multiples styles se côtoient sur fond de musique extrême. Il est donc difficile de le cataloguer avec un terme aussi réducteur que viking métal, même si on trouve quelques réminiscence du vieux Ensvaled (dans les parties les plus agressives et les atmosphères à la Vikingligr) la musique ne peut se limiter à cela. Celle ci est très variée et propose des sonorités inhabituelles pour ce style. Le terme le plus approprié est black progressif. Je sais que ce terme est fréquemment utilisé et qu’il finit par ne plus vouloir rien dire, mais je trouve, à l’instar d’un opeth qui ne s’impose aucune limite de style, qu’Enslaved mérite parfaitement ce titre parce que contrairement aux innombrables groupes œuvrant dans le métal prog, ils ont vraiment compris la définition du mot progressif.

Pour preuve, l’album comporte 7 titres pour une durée totale de 46 minutes, aucun morceau ne descend au dessous des 5’30’’ et le troisième culmine à 9’10’’, inutile de dire que les surprises sont nombreuses au sein d’un même morceau est que les changements de rythmes n’ont pas fini de faire craquer nerveusement les apprentis musiciens.

L’accouchement d’un tel album ne s’est pas fait sans peine. Le groupe a du faire face aux départs successifs de R Kronheim et Dirge Rep, respectivement guitariste et batteur. Heureusement Ivar P. et Grutle Kjellson en maîtres expérimentés et avisés (seuls rescapés du line-up originel) ont su trouver les bonnes personnes pour redynamiser le groupe et lui donner une nouvelle énergie. A ce titre Arve Isdal étonne son monde en tant que lead guitariste avec des solos impeccables et bien sentis. De plus, l’album a été produit aux célèbres Grieghallen studios (bien connus des black métalleux du début des 90’s), mixé dans un autre studio norvégien et enfin masterisé aux Digipro studios de Paris (cocorico) ; tout ça pour dire que le son de l’album est clair et puissant, nettement meilleur que celui de Monumension qui était un peu trop aigrelet.

Le groupe a décidé de débuter l’album par un morceau mid tempo (avec quand même une petite intro aux synthés), les guitares sont lancinantes et déjà vous vous préparez pour un voyage astral, le chant est varié : black d’abord puis guttural, quelques vocaux clairs se font entendre sur un ton déclamatoire accompagnés par quelques bruitages synthétiques, la lead guitare envoie quelques notes cristallines pour vous élever d’avantage et puis ça y est, 2’30’’ après le début, première cassure de rythme. On repart sur un riff assez thrash qui laisse rapidement la place à la ligne mélodique qui a ouvert le morceau, faux moment de répit, le rythme s’accélère à nouveau, de son côté le guitariste soliste distille toujours ses notes cristallines comme si de rien n’était, il terminera d’ailleurs le morceau seul avec les synthés, que du bonheur!

Le deuxième morceau commence, le tempo est plus soutenu que sur le premier, on part d’entrée sur des rythmes thrash, Arve se livre a un solo heavy métal bien pensé qui embraye sur une rythmique qui ne l’est pas moins. Tiens maintenant on dirait de la wah-wah ! Oh il y a aussi des bruitages électros (très légers quand même) ! Puis de l’orgue hammond ! Les deux ensembles maintenant ! Et puis ça y est la grosse caisse revient, ça part dans tous les sens ! On dirait que chacun se lâche dans son coin, mais tout est carré et ultra millimétré, un régal !

Ce coup ci se sont quelques guitares acoustiques qui débutent le morceau, on dirait opeth, les autres instruments prennent le relais et font progressivement monter la pression pour s’effacer à nouveau devant la guitare acoustique au bout de 2’30’’, il faut attendre la quatrième minute pour voir apparaître le chant (black) sur un rythme black primaire qui ne dure que quelques instants, les guitares étant déjà en train d’assurer une rythmique très prog métal, retour du chant clair et de la guitare lead, pas le temps de s’y faire que le groupe repart dans un schéma nettement plus black. Bref, j’arrête là la description du morceau, il dure neuf minutes…

Le quatrième débute par un air de flûte accompagné à la guitare sèche, du Jethro Tull jusqu'à ce que les grattes saturées et le chant black ne se ramènent. On retrouve encore l’orgue Hammond et des solos hallucinés sur fond de double grosse caisse, un régal je vous dit !

Cinquième morceau, ce coup ci des chœurs vikings ouvrent la marche (on ne se refait pas) aidés par des tambours martiaux, passé cette intro on se retrouve face à un black mid tempo conventionnel mais pour combien de temps ? La rupture vient de la batterie qui se met en mode militaire, quelques roulements se font entendre et déjà les synthés annoncent un futur changement, retour aux rythmes plus thrash, et on termine le morceau avec les chœurs qui l’ont fait débuter.

Le sixième commence lui par des nappes de synthés avant de déchaîner une violence extrême, premier moment de « bourrinisterie » de l’album, qui ne durera pas bien longtemps, le groupe partant dans un black plus tempéré l’espace de quelques riffs ! Je m’emporte, je me calme, je m’emporte, je me calme…le morceau est une succession de passages calmes et violents.

Le dernier morceau déjà, ça commence doucement, après une petite intro on se retrouve avec un chant clair accompagné par quelques accords de guitare sur un rythme assez binaire. Erreur, c’est parti pour le deuxième moment de bourrinisterie, et même dans ces moments de furie le groupe trouve le moyen d’incorporer des éléments étrangers comme des sons de synthés bizarroïdes, le morceau se termine de façon complètement inattendue comparé à la façon dont il a commencé : une guitare aérienne remplie de feeling accompagnée par une guitare acoustique. Mais finalement, quoi de plus normal dans un album ou il n’y a aucune règle préétablie.

Enslaved a pondu un album de métal non conformiste, il préfère ne pas suivre le chemin tracé par d’autres. En tant que précurseur il a choisi de tracer lui seul son chemin et de laisser les autres le suivre (parfois de très loin). L’écoute de chaque morceau est un pur moment de bonheur, on ne sait jamais à l’avance si le groupe va partir dans des délires expérimentaux ou dans une violence exacerbée. On nous parle de retour aux sources pour cet album, je suis d’accord mais il faut bien l’interpréter : le groupe ne fait pas machine arrière pour essayer de refaire les vieux albums qui ont marqué leur époque, il continue son évolution en s’inspirant de ses œuvres passées. Enslaved se sert de son propre héritage musical pour proposer une musique innovante. Dernier des pionniers du black révélés par osmose, après Immortal et Marduk, Enslaved mérite d’éclater au grand jour et de s’imposer en leader de la musique extrême.

Je propose la note de 17/20 pour la démarche artistique et la volonté d’aller de l’avant, avec pourtant la certitude que certains vieux fans ne se retrouveront plus dans le Enslaved du nouveau millénaire. C’est leur droit de ne pas aimer, mais il faut quand même reconnaître le caractère aventureux et unique de cette œuvre.




Rédigé par : Dark Tranquilou | 17/20 | Nb de lectures : 11032