Il est des fantasmes que l'on se retient d'entretenir par crainte de ne jamais les voir prendre corps. Un de ces fantasmes latents chez moi, depuis que je connais et vénère les Flying Tractors – loufoque compagnie de rock agricole de mon Puy-de-Dôme maternel – était de vivre un beau jour l'avénement d'un groupe de metal extrême poussant l'amour du fumier jusqu'à rouler son concept dedans. Encrimson'd (Brookline, Minnesota) se chargent enfin de clamer leur le créneau du black agricole, et aussi vrai que leur blason aux couleurs de la faux, du fléau et du cochon sauvage ne saurait mentir, ça moissonne dru dans les sillons de cet inattendu premier album.
Pourtant nos fermiers de service ne jouent pas spécialement les casse-cous, se confinant à reprendre à leur compte l'héritage public éparpillé en chemin par des dynasties entières de groupes. Mais qui cette consanguinité dérange-t-elle encore? Encrimson'd décrivent eux-même leur black comme énergique et mélodique, deux vastes qualificatifs qui ont peu de chance de trahir mais, en l'occurrence, sont également parmi les premiers qui me viendraient à l'esprit si j'avais à synthétiser l'album en mots clés. Energique parce que tous les titres sans exception sont articulés autour du tempo maximum abrité dans les avant-bras de l'homme aux baguettes de campagne. Mélodique parce que... mélodique tout simplement, stricto sensu et sans abus. On a là affaire à trois jeunes garçons qui ne sont pas venus au black par hasard ou par désoeuvrement – cela se mesure à la détermination cogitée qui anime le flux de la musique et au fait qu'elle ne se fait jamais prier pour offrir davantage que le strict nécessaire. L'harmonisation à deux guitares est l'un de ces bonus qui font remarquer Encrimson'd dans l'immensité maintes fois labourée des champs du black barbare, et les rapproche des meilleurs disciples de Dissection en la matière. Tout le versant plus “traditionnel” de l'album laisse une empreinte robuste et vide d'approximations. Le spectre rythmique archi-dominé par les blasts ne tombe pourtant pas dans un statisme improductif. Au contraire, valorisé par la soudaineté et la motivation des entrées mélodiques, le tempo s'enivre et commande de se déboîter les vertèbres en parfaite synchronisation avec cette moisonneuse batteuse qui mouline inlassablement de l'acier dans des mâchoires d'acier – quelle belle conséquence...
Quelques intros sont épaulées par une guitare acoustique maniée sans prétention mais avec le savoir-faire que des études de conservatoire ont permis à Shaun Koelsch d'acquérir. Finesse et barbarie faisant bon ménage, on aimerait voir ce talent en herbe venir se conjuguer plus souvent à l'armada métallique, à l'exemple d'un Ulver.
Le chant est dans une certaine mesure le talon d'achille de cet enregistrement. Le dénommé Chris Danecek qui se charge de tous les vocaux a d'une part tendance à vouloir en faire un peu trop – en s'essayant à une foule de registres dont certains auraient pu être épargnés, je pense notamment à certains braillements asthmatiques qui rappellent par trop le petit Dani et jurent salement avec l'esprit de la musique. D'autre part c'est justement sur le chant que la production maison affiche ses limites, en occultant le travail de fonte dans le mix, avec pour résultat que pas mal de passages offrent l'image d'un Chris Danecek s'époumonnant pour effacer malencontreusement la marque de certaines lignes instrumentales.
A dire vrai, le concept ne transpire pas forcément sur la musique de façon ostentatoire. Sorti d'une petite parenthèse dans “My Feast” qui a tous les airs d'une bruyante assemblée faisant ripaille dans quelque auberge de l'Amérique profonde, Encrimson'd n'exagèrent pas le trait et préfèrent laisser le soin de s'intéresser à l'idéal derrière la musique plutôt que le contraire. Malgré tout, on ne peut manquer de reconnaître à l'ensemble un petit accent particulier qui marginalise le son du groupe vis-à-vis, notamment, des écoles européennes. Toutes écorchées qu'elle soient, les guitares sont enrobées d'un petit halo de chaleur, pas forcément au sens “bienveillant” mais au sens “humain” (ou “non-déshumanisé”), un peu comme on peut le retrouver dans un tout autre contexte chez Agalloch, et à peine plus au nord chez Woods of Ypres. Je qualifierais cette pointe de caractère de “rustique”. Allez savoir si c'est là un effet secondaire d'un concept qui, vous l'aurez compris, me botte (de foin).
Véhiculant des valeurs peut-être naïves, peut-être un brin à l'ouest pour du black, mais assurément intègres, Encrimson'd engrangent un capital sympathie qui ne demandera qu'à être consacré au gré des saisons et de l'aguerrissement des musiciens à la traite de leurs outils de labeur. En attendant, “Agrarian Menace” réveille le péquenot qui sommeille en chacun de nous: une dizaine d'écoutes et il vous semblera impensable de débuter votre journée autrement que par une vieille soupe à l'oignon au chant du coq!


Rédigé par : Uriel | 15/20 | Nb de lectures : 8692