Ceux qui connaissent le film " Elvira Madigan " du réalisateur suédois Bo Widerberg se demandent certainement avec une grande perplexité quel groupe de metal peut bien vouloir tirer son nom de l'histoire de cette artiste funambule de son état. Peut-être à la rigueur un groupe de prog' porté sur le cinéma scandinave pour le moins extravagant des années 60, mais certainement pas la nouvelle réplique suédoise à Cradle of Filth, et pourtant... Enfin bon on a vu des choix plus anachroniques. En l'occurrence Elvira Madigan est la chasse gardée de Markus Hammarström, jeune polyinstrumentiste désireux de mettre ses compétences au service de la musique qui titille sa fibre créatrice : le metal extrême et symphonique. Et le bougre domine son business sur le bout des ongles. Avec à sa charge l'ensemble de la garde instrumentale, y compris la programmation de la batterie, Markus n'a rien inventé dans le genre, mais la densité et la crédibilité du résultat en font un des plus prolifiques stakhanovistes de sa génération. L'écoute de ce " Black Arts " délivre une impression duale et contrastée. D'un côté on devine bien qu'il se passe beaucoup de choses là-dedans, de l'autre une sorte de douceur presque incongrue pour le style semble envelopper l'album d'une capsule de sérénité. Est-ce du à une production suave qui coule les guitares dans le bain des claviers et relègue également - et étrangement d'ailleurs - les vocaux au second plan ? Sans discussion : oui. Impossible de dire si c'est par choix ou par dosage hasardeux, mais force est de constater que la violence qui se dégage de cette musique approche le seuil de non-existence. Dommage ? Difficile à dire, toujours est-il que " Black Arts " n'est certainement pas un album qu'on peut se permettre d'écouter d'une oreille distante en espérant que les parties de tueur vont venir s'agripper aux tympans. Les très bonnes choses foisonnent, mais il faut aller les chercher, en particulier des arrangements de clavier/piano d'une qualité renversante répartis en longs divertimentos instrumentaux, souvent au cœur même des morceaux à texte. Et c'est d'ailleurs bien là que la balance commence à osciller vers un déséquilibre en faveur du symphonique. Elvira Madigan a tendance à lénifier l'auditeur par ces segments atmosphériques à rallonge qui font vite perdre le fil régulier des morceaux. Pour ce qui en demeure de strictement métallique on retrouve peu ou prou les structures orthodoxes chères à la meute vampirique british, sans qu'on puisse parler de plagiat. Des fronts de percussions véloces (parfois un peu plus rapides que la normale, mais on ne lui en tiendra pas rigueur) et des guitares spasmodiques mais légères restent un chassis efficace et pas trop envahissant pour pouvoir installer le plus important : la carrosserie orchestrale, fuselée et rutilante de mille tons sautant sans obstacle de l'ombre au feu d'artifices. De bonnes parties solos, courtes et raisonnables, viennent laquer l'ensemble d'une couche de savoir-faire bien résistante. Qui plus est, Markus dispose d'un bon chant clair à la Vintersorg qu'il gagnerait à exploiter davantage. Pour abréger une longue histoire, " Black Arts " dépasse déjà le stade du coup d'essai, puisque c'est un travail d'orfèvre qui dénote une maturité déjà très avancée. Ne manquent à mon avis, outre un repositionnement des vocaux dans le mix, qu'un sens plus aigu de l'accroche et du liant, afin d'éviter à l'avenir la dispersion qui rend cet album difficile à suivre et encore plus à retracer. Un élève brillant et assidu, à encourager dans son travail ! A noter en marge de la chronique que cet album, initialement sorti en 2000, est désormais disponible avec cinq titres bonus dans un aguichant digipack avec une illustration de Luis Royo - personnellement j'aurais aimé que Markus puise ailleurs que dans sa collection d'amazones dénudées, mais c'est toujours plus classieux que les démons stéréotypés et monochromes à la Petagno & Co.


Rédigé par : Uriel | 13.5/20 | Nb de lectures : 6813