Il me semble bien loin le temps où je m'enflammais directement pour Eluveitie. Et pourtant, Spirit ne date que de 2006. Mais en trois ans, beaucoup de choses ont changé pour la tribu suisse. Après avoir acquis une belle renommée au travers de fougueux concerts (dont certaines dates à Paris excellentes, pour celles que j'ai vues), les guerriers barbares et leurs dames sont passés du petit Fear Dark Records à l'énorme Nuclear Blast. Et dans cet intervalle, leur leader Chrigel a décidé de recentrer leur décapant mélange de folk celte et de metal suédois vers sa vision d'Eluveitie, à savoir le plus bedonnant Slania (oui, oui, je persiste). Bref, pas mal de changements, dont le départ des charismatiques jumeaux en 2008 qui laisse Eluveitie à Chrigel et ses deux muses (les nouveaux membres étant relativement transparents).

Annoncé dès 2007, Evocation I est donc le fameux mini acoustique, depuis transformé en album complet. On peut même rêver à plus, car le sous-titré The Arcane Dominion est la première partie d'un concept-album en deux volets. Les textes en ancien gaulois se marient avec les mélodies traditionnelles pour enchanter nos chaumières imbibées de metal. Ca, c'est sur le papier. Mon souci est que cet album me fait mal à la tête à force de me rendre schizophrène.

- Ah ben, tiens. C'est la mode pagan gnagna et voilà que les p'tits Suisses nous pondent, ô hasard, un nouvel hommage acoustique à Manau.
- Rooh, t'abuses là. Eluveitie a toujours porté ses mélodies celtisantes à bout de bras. Et puis, il est annoncé depuis longtemps ce volet acoustique. Et arrête tes conneries avec Manau.
- M'enfin, tu notes que ça tombe bien tout de même. Il me semble que Chrigel annonçait il y a deux ans qu'Eluveitie allait prendre une orientation plus metal. Et bilan des courses, ils n'ont jamais autant mis de pièces dans le distributeur "pagan".
- Attends, c'est pas toi qui te plaignais que Slania était bien moins folk? Jusqu'à présent, Eluveitie a su rester dans le haut du panier pagan. Et si on parlait d'Evocation I pour changer.
- Ouais, parlons-en d'Evocation I. J'ai bien du mal à trouver des morceaux prenants dans ce simple assemblage de thèmes courts sans réelle construction.
- Ah, t'as pas aimé le très dynamique "The Cauldron of Renascence"?
- Si, si, le riff acoustique de ce morceau est simplement dévastateur, mais c'est plus un interlude de deux minutes qu'un titre complet. Et puis, c'est la seule compo vraiment dynamique dans un album globalement mou du genou.
- Mouais, tu fais moins la fine bouche quand c'est du traditionnel pur jus. Les morceaux folk ne sont parfois que de simples thèmes anciens psalmodiés sans souci d'une construction particulière. C'est le nom Eluveitie sur la pochette qui te fait dire ça.
- Peut-être. Je trouve que cet album est aussi réussi que tout autre side-project qui va piocher dans un autre genre que le metal et connaît son petit succès par méconnaissance des metalheads dans un style gentiment appliqué.
- Bah, ils s'en sortent plutôt très bien pour moi. Certes, hormis "The Cauldron...", c'est tranquille. Mais ça n'empêche pas les morceaux d'être variés et pas du tout ennuyeux. Un voyage dans les temps anciens, même si ça me fait plus penser à l'Irlande qu'à la Gaule, pour être honnête.
- Et tu ne trouves pas que la mise en place est très formatée? Les effets sur les voix (notamment le hurlement en arrière-plan qui revient plus que de raison), la batterie avec de la reverbe pour lancer les intros, les chants. Bref je trouve que la recette se répète au long des quinze morceaux.
- Certes, mais les thèmes sont suffisamment accrocheurs pour que ça passe. Et encore une fois, tu n'en demandes pas plus aux albums de musique traditionnelle habituellement.
- Question de goût. Certains morceaux sont tout de même bien en-deçà. Je pense à "Memento" qui flirte avec l'ambiance musicale aseptisée du rayon bières de l'Intermarché de Plouguerneau, ou l'infâme tube variétoche (et premier single) "Omnos" écrit comme un hit pour adolescents. Celui-là, il détone complètement par sa mièvrerie. Son refrain se rive dans la tête d'une manière aussi atroce que celui du "Petit Bonhomme en Mousse".
- Tu noteras que ce titre est complètement seul dans son registre, plusieurs encablures derrière de belles ballades grattouillées comme "Voveso in Mori" et "Ne Regv Na". Et puis, cet album permet de découvrir le joli brin de voix des demoiselles d'Eluveitie (et encore, vous n'avez pas la voice-over). La vielliste, dont les ritournelles trouvaient un peu leurs limites sur le dernier album, trouve ici un nouveau rôle de premier plan qui lui vaudra en concert les regards amoureux de premiers rangs mâles dopés aux hormones.
- Ouais, et du coup c'est Chrigel qui est presque totalement absent et ne fait que des apparitions sous-mixées, comme si son chant agressif ne devait aucunement déranger les jolies comptines décantées. Coincé entre toutes ses douces eaux, le vocaliste ne tente son chant clair que sur "Nata". Et j'espère qu'il a envoyé une caisse de champagne à Alan Averill de Primordial pour lui avoir sauvé ses parties vocales affreuses sur ce titre.
- C'est vrai que c'est pas extraordinaire. Mais tu aimes bien des groupes comme Nachtgeschrei ou des trucs irlandais à la voix rauque, donc pas de raison que ça te choque plus.
- Ben ouais, mais on parle d'Eluveitie là. En mettant de côté son chant et ses riffs, le combo me dérange. Au contraire, le groupe aurait pu affirmer sa personnalité en replaçant quelques éléments propres à sa musique dans un contexte traditionnel. Månegarm l'a bien fait, dans une relecture acoustique de son style.
- On est toujours au même point. Tu ne détaches pas cet aparté acoustique du reste du travail du groupe. C'est plus de l'aparté, c'est de l'apartheid!
- Mais Eluveitie nivèle ici par le plus "acceptable", en misant sur les ritournelles du folk celtisant sans y insuffler ni l'émotion, ni la dynamique. Là où musicalement un Déanta fait fondre de mélancolie et un Solas taper du pied, là où les voix de Värttinä déchirent les entrailles de leur beauté, Eluveitie parvient à me déclencher un bâillement poli en assemblant un album prévisible. Et s'il convient de juger cet album comme une sortie de pur folk, le résultat s'avère globalement très moyen, présentant du rarement bon et du parfois mauvais.
- Toujours dans l'exagération! Même si cet album est à la base destiné à une frange du public metal, je suis certain que des auditeurs de musique traditionnelle y trouveront également leur compte. Les 47 minutes d'Evocation I sont entraînantes et complètement dépaysantes. Je ne leur en demande pas plus, tellement le résultat me transporte ailleurs, dans de vertes vallées. Je suis certain que cet album va bien se vendre malgré ta perfidie.
- Certes, certes. Après tout, The Corrs ont eu un grand succès commercial aussi.
- Connard!

A partir de là, j'ai pris deux aspirines, tellement ma tête me donnait l'impression d'un pugilat dans mon crâne. P'tain, je ne suis pas plus avancé. Je lui mets quoi comme note à cet album...


Rédigé par : Prince de Lu | Zdoiiing/20 | Nb de lectures : 13140