Sans aucune honte, j'ai fait partie de ceux qui défendaient un minimum Eluveitie lors de la sortie d'Evocation I l'année dernière. Un minimum, car ce rendu acoustique du metal à sandales des Suisses ne valait pas (encore) une mise au pilori. Un minimum aussi, parce que ce n'était pas du folk très enlevé, l'opus comportant même des ballades à s'arrêter vomir sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute. Il est clair que si on devait associer nos cousins des montagnes à une mythologie antique, Eluveitie donnerait dans les légendes grecques. Plutôt que Vercingétorix, le groupe ressemble bien plus à Icare, d'abord triomphant avec Vên et Spirit, puis qui s'est brûlé les ailes à l'orée de son succès pour ne plus proposer qu'une longue et gênante descente vers le sol. En tout cas, le groupe laisse un peu plus de ses plumes à chaque album.

Poussée par la machine promotionnelle Nuclear Blast, la formation helvète a balancé du contenu sur la toile, entretenant le suspens à coups de trailers vidéo. Donc, d'après la propagande officielle, ce nouvel album est le plus sombre, le plus rude et le plus mélancolique à la fois, tout en mettant en avant des influences qui étaient cachées au fond de ses concepteurs et pas assez poussées sur les précédents. Il est plus metal et il est plus folk aussi. En tout cas, il est vachement plus puissant que Slania!. Le seul truc que je retiendrais des trailers est qu'Eluveitie fume beaucoup et que ce n'est pas bon pour leurs petits poumons élevés à l'air pur.

Evidemment, Nuclear Blast ne pouvait que placer une vidéo pour annoncer la sortie de l'album. Et le titre choisi pour représenter Everything Remains fut "Thousandfold", narrant l'histoire du seigneur helvète Orgetorix, à partir des quelques faits contenus à son sujet dans le "De Bello Gallico" de Jules César. Que dire, sinon que ce titre est une grosse catastrophe artistique bien calibrée, un naufrage complet avec un changement de tonalité final digne des meilleurs tubes des années 80 (ce n'est pas un cas isolé sur l'album). Le gros son et les voix vocoodées des donzelles pourront donner le change un instant. Mais il ne reste du feu ardent Eluveitie que quelques braises sur lesquelles soufflent les riffs d'un In Flames boursouflé et en manque d'alcool, auquel s'ajoute un violon.

Tout le reste de l'album est évidemment à l'avenant. Dans une compétition de patinage artistique (on est pas si loin de la période de Vancouver), il est certain qu'Eluveitie raflerait une bonne note technique. L'exécution est impeccable et la production énorme, ce qu'on est en droit d'attendre d'un album enregistré sur près de quatre mois, avec aux manettes Tommi Vetterli (Coroner, Voodoo Cult, Stéphane Eicher. Bon, surtout Coroner en fait) et Colin Richardson (si vous ne connaissez pas, ayez l'obligeance de vous jeter sous un train). Mais il est aussi certain que les quelques riffs placés en simple axel et les pirouettes d'une recette désormais éculée feront pointer une note artistique fort basse pour nos Suisses, ne contentant qu'un public peu enclin à apprécier les belles performances.

Ils auront beau s'autoproclamer "The new wave of folk metal", tout cela ressemble fort à la méthode Coué (si vous voyez une faute dans cette phrase, retournez sous le train immédiatement). Certes, ça doit monter à la tête d'être signé sur le plus gros label européen de metal et de donner des concerts dans de grosses salles. Mais Renan Luce joue aussi à guichets fermés, en gratouillant ses chansons de feu de camp. Eluveitie bénéficie de l'effet de mode pagan, rendant le groupe totalement bankable sans que grand monde ne remette en cause la qualité artistique du projet fadasse que la formation est devenue en une poignée de sorties.

Calibré, formaté au possible, aseptisé et aussi surprenant qu'un bol de pâté pour chien pour votre toutou. Mais le toutou, il s'en fout de l'originalité, il veut juste bouffer. On peut faire confiance à tonton Nuclear Blast pour nous donner la becquée. Grand bien fasse à ceux qui prennent du plaisir à se faire nourrir de la sorte. Pour moi, autant Evocation I était défendable par certains aspects, autant Everything Remains ne l'est pas.

Pour être complet, je signale qu'un DVD bonus est compris. Il sent bon le remplissage avec une partie vidéo clip, qui contiendra le making of de l'album, un studio report "étendu" et une interview avec un homme de science pour se plonger plus profondément dans les textes de l'album. Je ne l'ai pas eu entre les pognes, je ne peux donc pas en dire plus.


Rédigé par : Prince de Lu | 10/20 - Note technique: 8,5 | Nb de lectures : 12826