Il y en a qui ont un bol pas croyable quand même ! Combien de fois est-ce que j’ai méticuleusement compté les résidus de chewing-gum agglutinés sur le trottoir devant chez moi en espérant secrètement en dénombrer 666 ? Tant d’heures vainement employées à quatre pattes à attendre un signe fort de la part du cornu, et voilà que les deux p’tits Français d’Eikenskaden n’ont qu’à aller se balader dans leur forêt pour y recenser 666 arbres. Je crie à l’injustice ! Bon blague à part, autant ne pas y aller par quatre chemins: je connais suffisamment de personnes saines d’esprit et mélomanes qui clameraient que cet album est une ignominie ultime à bannir à tout jamais de la surface de la planète. Suis-je sain d’esprit ? J’aime à le croire, pourtant je ne peux m’empêcher de trouver à « The Black Laments Symphonie » un certain charme, presque magnétique, qui autorise l’impossible: rendre l’inécoutable écoutable, voire très satisfaisant.

Je m’explique: la règle du jeu chez Eikenskaden est de faire cracher aux amplis un black metal façon underground (under-underground si vous voyez ce que je veux dire...), aux compos moitié improvisées en studio et affublées d’une production de terroriste - genre même réglée sur le plus bas volume votre chaîne va devenir un cauchemar pour vos voisins. Les guitares, au demeurant fort bien maîtrisées, s’apparentent davantage à la roulette d’un dentiste (serrez les dents sur les solos) et celui des deux membres qui officie derrière la batterie - et qui, sans lui faire injure, ne doit pas avoir énormément d’heures de pratique intensive derrière lui - éprouve quelques soucis à produire un jeu intelligible dans les parties rapides. Il va donc sans dire qu’Eikenskaden ne partent pas avec tous les atouts en main pour émerger des sombres sous-bois où leur coeur semble avoir élu domicile. Et pourtant il se produit un miracle tel que seule la musique peut en générer. L’alchimie de la rugosité du son et des mélodies larmoyantes prend corps pour offrir à l’album une essence unique, une âme intense - reflet des implications douloureuses de titres aux noms aussi écorchés que « I want to die alone », « Dying on a Bed of Roses » et surtout « I’ll go for a Walk on my Grave » (deux fois...).

Depuis le « Memoria Vetusta » de Blut Aus Nord, rarement une musique aussi sous-produite aura dégagé une telle massivité empreinte de sincérité dans la démarche artistique. Je me demande dans quelle mesure le compositeur principal d’Eikenskaden est impliqué dans la musique classique, car force est de constater que de nombreuses passages fonctionnent à la manière de tristes decrescendos qui vont beaucoup chercher dans les dièses, et qui amènent un plus incontestable dans la recherche mélodique. De plus on devine parfois, au loin dans le brouillard du mix, les tonalités profondes d’un piano, dont on entend une sonate fort bien exécutée en guise d’antépénultième plage. Cet album est la preuve qu’il n’est nul besoin de jouer comme un dieu et de disposer du dernier cri en matière d’enregistrement et de production pour faire passer une atmosphère forte, sombre et « magique » qui renoue avec des valeurs trop souvent galvaudées. Reste à savoir si, en évoluant (car vous allez évoluer les gars, hein ?), Eikenskaden parviendront à conserver leur flamme passionnelle, car les exemples sont trop nombreux de groupes qui ont perdu cette dernière lorsqu’ils ont commencé à bénéficier d’un son nickel.




Rédigé par : Uriel | 7/10 | Nb de lectures : 7920