D'après la science, seules 10% des espèces marines ont été répertoriées. Membres des 90% restants, les globsters, ces imposants amas organiques et informes qui viennent s'échouer épisodiquement sur les plages. Leur point commun? Il est difficilement possible d'identifier clairement la composition de ces énigmes vivant tapies dans les profondeurs, tant leurs anatomies ne se rapportent formellement à aucune espèce déjà connue.

Eh bien si vous cherchiez un équivalent musical à ces organismes, Ehnahre se fera le préposé le plus adapté. En tentant de disséquer la bête fraîchement échouée au large de Boston (et que le ressac enverra vers le Vieux Continent ce printemps), on dénote un line-up plus qu'aguichant, puisqu'il contient des membres de Kayo Dot, de Biolich (brutal death expé) et Force Fed Glass, formation screamo/grind ayant abrité dans ses rangs Ben Koller de Converge. "The Man Closing Up" est le premier jet de la formation, ce qui ne l'empêche pas de se voir masterisé chez Nick Zampiello (Unsane, Coliseum, Converge) et signé chez Sound Devastation, label au très respectable catalogue (Fall Of Efrafa, Kongh, Analysis Of Bison Kills...) Et le quintet se permet le luxe de disposer des roucoulades de Jonah Jenkins (Raw Radar War, Milligram, Only Living Witness...) sur un de ses cinq titres.

C'est musicalement que les choses se compliquent. Post-death metal, extrême pour lunettes carrées ou art-metal, l'identité de la masse nous file plus d'une fois entre les doigts. Néanmoins, le passif de ses membres nous permet d'y voir un peu plus clair; c'est ainsi que l'on retrouve ce côté feutré échappé d'un Kayo Dot ou d'un Mare, à travers ces égrénages de notes façon "calme avant la tempête" et les discrètes ornementations de batterie. Sans parler de cette finesse infinie, puisque chez eux seul le détail compte: les habillages d'arrière-plan en feront foi, que ce soit saxophone, grincements de cordes ou murmures agonisants école Eugène Robinson (Oxbow). Mais gare à ne pas trop vous laisser amadouer, parce que quand la bête se fait incontrôlable, on se retrouve à fricoter avec le grondement inhumain d'un Portal, via le riffing et les growls chaleureux comme des vents spatiaux. Et dans ces fréquents soubresauts death metal, Ehnahre ne perd rien de la complexité de ses parties plus aérées, soignant à la fois ambiances et plans tordus à la manière d'un Gorguts.

Comme souvent quand il s'agit d'invertébrés, on songera à Starkweather pour ce goût des structures tortueuses et enchevêtrées comme pas possible, même si à force d'enchaîner cassures et recassures, Ehnahre fricote plus d'une fois avec l'indigeste et n'est pas loin de faucher tout l'échafaudage mis en place. Et le préposé aux fûts pèche parfois par excès, en faisant systématiquement mumuse avec ses baguettes là où ce n'est pas forcément nécessaire, oscillant du coup entre jeu déconstruit (bien) et jeu décousu (pas bien).

Ehnahre se veut le créateur d'une oeuvre plutôt ambitieuse, mission que l'on pourra qualifier de réussie, grâce à cette coalition de musiciens talentueux et (trop?) chevronnés. Rien n'est laissé à la merci du hasard, du concept de l'album basé sur les écrits du poète Donald Justice à la complexité des morceaux, faisant de "The Man Closing Up" un album quand même assez difficile d'accès même pour les auditeurs coutumiers de ce genre de bruits exigeants, qui réclamera de longues écoutes au casque dans le noir plutôt que sur un autoradio grésillant ou sous la douche. Pas encore LE chef-d'oeuvre, la faute à un perfectionnisme à double tranchant, mais le potentiel est clairement là.


Rédigé par : Crown_Me | 15/20 | Nb de lectures : 11001