Ouf, on a eu chaud ! Drudkh a bien failli devenir complètement "hype" et se faire retourner par les gardiens de la scène comme un gant en daim par Madame de Fontenay. Heureusement, Les deux Roman ont su se ressaisir de manière intègre. Après le phénoménal "Blood in Our Wells", ils nous ont pondu le folk et complètement miteux "Songs of Grief and Solitude" et un EP "Anti-Urban" dont les deux titres fleuraient bon le fond de tiroir à chaussettes. Il n'était donc pas interdit que le groupe, euthanasiant son récent succès, puisse désormais nous sortir une nouvelle bouse sans nom. Donc, contrairement au précédent album (je parle de "Blood…", oublions le miteux), je n'ai pas eu les mains moites à l'idée de découvrir cette nouvelle fournée du projet de Kharkov. Par contre, j'ai attendu ma pré-commande chez Supernal de pied ferme dans la rangers, profitant de l'avantage non négligeable de disposer de ce Drudkh quelques semaines avant sa mise en rayon officielle.

Faible que je suis, j'ai évidemment craqué pour l'édition luxe qui est contenue dans un boitier super-jewel case-"couilles si tu le casses" et qui dispose donc d'un livret "plus grand". Ce format permet principalement d'apprécier les illustrations jusqu'à un âge avancé de la vie. Mais à part le côté "c'est plus grand" et "c'est numéroté", c'est surtout le "c'est plus cher" qui ressort de cette édition sans aucun bonus. Un truc de collectionneur ou de gogo, c'est selon le point de vue. La pochette "en plus grand" permet de confirmer un point : elle est moche. Je vous précise que le pâté marron en haut, perdu dans les branches, est bien le logo du groupe et que le dégueulis vert du bas est le titre (avec sa traduction). Heureusement, le reste du livret est de bien meilleur goût que cette association de couleurs douteuse. Il faut noter que le booklet comporte les textes en ukrainien et leur traduction en anglais (ces derniers sont uniquement dans la version luxe). Let's play.

Première grosse surprise, le bestiau donne l'impression d'être court. En réalité, il fait tout de même 36 minutes, ce qui reste convenable. Mais si les trois premiers titres durent dix minutes et quelques, le dernier tient plutôt de l'outro, tournant sur un riff pendant quatre minutes là où on attend une lente et longue évolution. Du coup, l'album semble se terminer dans la précipitation et donne cette impression d'être amputé. Et elle perdure, la bougresse. A chaque fois que ma rondelle s'arrête de tourner (et ça fait mal), je reste surpris par cette fin abrupte, ma soif de riffs ultimes n'étant pas étanchée dans par un dernier morceau qui démarre très bien.

Dès les premières mélodies, il est clair que nous tenons un album de Drudkh pur jus. "Solitary Endless Path" démarre sur un combo couplet/refrain avec gratouillis acoustique et rythmiques toniques qui nous plongent directement dans l'ambiance de l'album. Il faut attendre la seconde partie, après un petit solo suivi d'un court lancement en acoustique, pour retrouver le Drudkh lent et mélodique qui fait secouer la tête lentement, en s'imaginant assis dans la neige entouré de loups. La formation écrase son riff jusqu'à la fin du morceau. L'auditeur est rassuré, c'est du bon. Enfin presque, parce que quelques trucs me chagrinent un peu dans la suite.

"Skies at Our Feet" démarre comme en plein milieu du morceau. Hop, fade in et on est parti, donnant l'impression de prendre le titre en cours de route en revenant des chiottes. Ca m'a un peu dérouté, surtout vu le soin que les Roman mettent à nous trouver des intros et des enchaînements somptueux. C'est un détail de rien du tout car le reste du morceau est excellent, avec un final blasté de toute beauté. Par contre, "Where Horizons End" m'intéresse beaucoup moins. Si les riffs me semblent moins magiques, cela vient grandement du solo (à 3'30) que je trouve abominable, surtout avec l'effet de souffle ajouté genre "ça pète grave". Ca me pète surtout l'ambiance, ce gratouillis de notes surmixées, et je n'arrive à pas à me remettre dans le morceau avant les trois dernières minutes. Dans cet album, je n'approuve pas le systématisme des solos de toute façon. Il y en a trop à mon goût, et ils n'apportent pas toujours quelque chose au propos. Autant magnifique dans "Only the Wind Remembers my Name" que quelconque par ailleurs.

Côté production, "Blood…" écrasait par sa puissance là où "Estrangement" retrouve un son plus proche des anciens albums. L'enregistrement s'est déroulé au désormais habituel et mythique AudioAlchemia (Drudkh, Nokturnal Mortum, Dub Buk, Astrofaes, Triglav, etc. J'en oublie car tout le monde y passe). Je regrette le jeu du batteur, moins aéré que sur le précédent opus (non, pas le miteux). Les patterns semblent parfois moins au service du morceau, avec notamment une présence du charley et des cymbales plus fortes qui viennent troubler la fluidité et la béatitude des riffs. Le son est toujours bien gravé dans les mediums, agressant l'oreille malgré le calme tout relatif des compositions. On entend toujours les lignes de basse et cela reste un réel plaisir.

Mettant en avant un bon lot de parties blastées, cette nouvelle fournée se veut plus tonique que son prédécesseur. Les morceaux sont structurés sur une poignée de riffs dont les enchaînements sont moins lumineux, là où "Blood…" est exceptionnel. L'impression de tenir un album court vient peut-être aussi de là. Drudkh semble avoir moins poussé dans le travail des ambiances, délaissant ses magnifiques samples pour des morceaux qui ressemblent plus à de longs intermèdes. Les riffs ont gardé la tristesse de la mélancolie slave, déroulant des thèmes à se flinguer sur lesquels s'étalent les trop rares hurlements de douleur de Roman Blagih. Mais les passages vraiment planants et les arrangements magiques de "Blood…" me manquent un peu. Cet "Estrangement", malgré de bonnes qualités, que nous connaissons désormais bien, a un goût de pas tout à fait ultime.

N'allez pas croire que cet album est faiblard. Non, cette première vraie cuvée 2007 du projet ukrainien est encore un bien bon opus qui, une fois lancé, est quasi impossible à arrêter. Des riffs iront se graver directement dans votre cortex pour vous accompagner pendant plusieurs jours, c'est certain. Mais après les brûlots précédents, l'exigence ne peut que monter d'un cran, si on ne recherche pas une photocopie des riffs du passé. Là où j'aurais probablement collé un 19 à "Blood…" et un peu moins à "Autumn Aurora", "Estrangement" ne peut logiquement que récolter encore moins. Car cet album n'apporte pas grand-chose à l'édifice Drudkh, se contentant d'exploiter la veine, sans jamais faire autant frémir. Les titres contiennent leurs moments de bravoure (le final énorme de "Skies at Our Feets", la montée en puissance de "Solitary Endless Path", etc), mais ce dernier effort de Drudkh parvient moins à me faire décoller et à m'emporter dans les steppes enneigées et les grandes forêts d'Ukraine. A l'Est, rien de vraiment nouveau.




Rédigé par : Prince de Lu | 16,5/20 | Nb de lectures : 12374