DREDG – El Cielo (Interscope/UMG Recordings) - 03/03/2003 @ 11h03
Invraisemblable… Dredg viennent sans le moindre doute de jeter la bouillante communauté du rock alternatif cul par dessus tête et tout le monde s’en fout. Bien au chaud sous une couverture médiatique d’outsider, les Californiens ont eu tout loisir de bâtir sur les fondations d’un premier essai, « Leitmotif », qui figurait déjà au bataillon des autorités dans le milieu des grosses décharges électriques et des lumineuses circonvolutions mélodiques. Le produit de ce travail trône aujourd’hui tout en haut de la montagne et peut regarder à loisir la meute des poursuivants se monter dessus à une distance respectable en contrebas. « El Cielo » se présente sous le format d’un recueil de onze chansons au sens commun dont la succession est criblée par cinq autres pièces plus succinctes et indirectes, parfois expérimentales, parfois néoclassiques, qui méritent déjà plus l’appellation de morceaux que celle de simples entremets. Leur fonction découle de l’intitulé qui leur a été donné : « Brushstroke :… », c’est à dire de petits coups de pinceaux destinés à poser une couleur sur une rondelle d’existence, à suggérer des humeurs et des pistes que les morceaux suivants se chargent d’approfondir par les structures et par le texte.
Les paroles de l’album, justement, s’articulent autour d’un concept original et hautement personnel, que l’on suit dans le livret au fil de fragments de lettres écrites par des individus souffrant tous d’une certaine forme de paralysie accompagnée d’hallucinations auditives, cherchant tous la délivrance de leur mal à travers le partage de leurs expériences. On se laisse facilement absorber par cette suite de témoignages, certes fictifs, mais proprement passionnants, qui cadrent si bien avec ce trouble, cet appel vers l’inconnu, ce besoin d’exorcisme psychique ancrés au plus profond des alignements de notes et des doléances vocales.
Pilotée par le timbre mystique et stratosphérique d’un Gavin Hayes farci de talent, proche de l’état de grâce au micro, la musique mise dans ses moments les plus identifiables sur une base atmo/rock plutôt membrée, hardcore dans ses soubresauts cardiaques mais jamais dans l’habillage, beaucoup trop noble et ciselé pour que la crudité des guitares tienne durablement les avant-postes. Le fait est que Dredg, par leur esthétique protéiforme, échappent à toute description stylistique pointilleuse. Même le jeu des comparaisons n’est pas un gage de certitudes, tout au plus peut on avancer un mariage pléthorique entre l’élégance métabolique de Radiohead (ou Eels pour une alternative) et la stature monumentale d’un Isis dans ses postures les moins carnassières – avec peut-être un soupçon de new-Anathema en embuscade… Mais le point de vue duquel on se place importe peu, ce qu’il est essentiel de savoir c’est que chaque seconde de « El Cielo » est un retour sur investissement décuplé. Tous les morceaux ont leur part de génie, même les moins charismatiques, même ceux (surtout ceux) qui ne commencent à coloniser le cœur via l’oreille qu’au bout de X écoutes perplexes. Pratiquement tous les refrains sont magnifiques (ma-gni-fi-ques !!!) sans oublier d’être percutants, sans jamais tomber dans le simplisme ; certaines accroches ou couplets sont si richement achalandés qu’ils ont l’étoffe de refrains bis ; et le plus impressionnant c’est que, de par la ressource hallucinante et la non-symétrie de l’écriture, l’entrée en scène des parties vitales du morceau est complètement imprévisible. De même il y a toujours un ajout instrumental, un changement de rythme, une coupure inédite qui fait que des portions analogues (telles que les refrains) ne se répètent jamais à l’identique. Au diable les ritournelles interchangeables et les gimmicks faciles qu’on récite par cœur deux minutes avant leur apparition, avec Dredg vous vous amuserez à repérer les détails les plus fascinants (percussions syncopées du plus bel effet dans « The Canyon Behind Her », éclats de trompette dans « Eighteen People Living in Harmony », horizons caniculaires sur le Dead-Can-Dancien « Brushstroke : An Elephant in the Delta Waves », etc.), et vous vous surprendrez à être surpris (le beau pléonasme) alors même que vous pensez avoir fait le tour exhaustif du propriétaire.
« El Cielo » est un album qui ne dort pas, une mine d’or dont toutes les galeries résonnent de filons harmoniques ultra-épurés comme on désespérait d’en trouver en dehors de cadres somptueux mais foncièrement atoniques tels que Pink Floyd ou Porcupine Tree. Il serait surhumain de désigner l’un ou l’autre titre phare, tant celui-ci change à chaque écoute. « The Canyon Behind Her » est certes la quintessence même de la chanson parfaite avec ses leitmotivs interrogatifs (« Does anybody feel this way ?… ») qui attisent la tension jusqu’à l’apothéose finale, certainement un des meilleurs épilogues d’album de tous les temps, un tournant dramatique dans la musique et les chœurs angéliques qui viennent pulser en surface tandis que Gavin Hayes s’écrie d’un ultime souffle bouleversant « I cannot find the other I » afin de ramener l’album où il avait pris sa source : au sous-sol de la détresse intérieure et de l’absence de réponses. Mais « Same Ol’ Road », « Convalescent », « Of the Room », « Scissor Lock » et d’autres sont également de solides goliaths émotionnels non dénués de puissance et de technicité… Des bijoux en quelque sorte que je ferais volontiers graver en sillons d’or sur une anthologie du rock pêchu de classe supérieure, si ce genre de distinction n’était pas la tanière de toutes les subjectivités.
Bref, tout ça pour dire que, découverts par hasard au crépuscule de 2002, Dredg ont déjà su se rendre complètement indispensables dans ma chaumière, et je n’en vois pas la fin tellement la régularité imparable avec laquelle ce disque (et désormais son illustre prédécesseur « Leitmotif ») retrouve son chemin vers ma hi-fi est unique. C’est une musique qui ne peut laisser indifférent, qui selon les circonstances fout la gnac, transcende, déprime, et toujours ouvre des espaces de réflexion sans lisière. Alors d’accord, ce n’est pas vraiment du metal dans les sonorités, mais son caractère ténébreux couplé à un avant-gardisme autodidacte font de « El Cielo » une arme redoutable pour tous ceux qui cherchent vainement à frapper à la face de la déferlante « love-metal » avec quelque chose de pointu, de brillantissime, dont l’émotion n’est (pour changer) pas enduite d’opportunisme sournoisement « romantique ». Alors Mme Loufi, n’hésitez pas à faire une infidélité occasionnelle à Valo pour aller batifoler quelques heures avec Dredg, vous nous en direz des nouvelles…


Rédigé par : Uriel | 19/20 | Nb de lectures : 8659




Auteur
Commentaire
Ender
Invité
Posté le: 03/03/2003 à 16h16 - (2282)
Il ne reste plus qu'à le mettre en disque du moment pour que justice soit rendue à ce disque et ce groupe !
Depuis Tool et Aenima, je n'avais pas reçu de telle claque !

Peut etre qu'In the woods les rejoindra,mais pour l'instant je suis en phase "découverte" et m'abstiens de tout jugement

Guillaume KLONE
Invité
Posté le: 03/03/2003 à 18h22 - (2283)
Cet album est énorme !

je l'ai decouvert sur le net il y a plus de 4 mois et je comprenais pas trop pourquoi personne en parler ...
Pour moi c'est l'album de l'année , l'album parfait , les voix sont magnifiques et la musique somptieuse .
La production est vraiment bien et on ne se lasse pas dutout à l'écoute de cet album .
L'enchainement des morceaux se fait à merveille et on se sent vraiment partir en l' écoutant . Que de beaux voyages !

Vivement que le groupe passe en concert en France ... les frissons sont garantis !!!!

Mme Loufi
Invité
Posté le: 03/03/2003 à 19h27 - (2285)
Voir son nom dans une kronik d'Uriel est vraiment un honneur, je vais donc suivre son conseil et écouter cet album.

Merci Uriel d'accroitre encore un peu plus ma célébrité ! ;-)

Loufi
Membre enregistré
Posté le: 10/03/2003 à 20h39 - (2380)
Je croyais que ça arriverais jamais mais j'ai acheté ce disque, convaincu par la kro d'Uriel....
J'en suis à la première écoute et il va me falloir quelques temps pour approfondir tout ça. Mais ça a l'air vraiment très bon.


Darkanar
Invité
Posté le: 15/03/2003 à 14h35 - (2525)
Mais où c'est que çà s'achète un tel album?
Je ne l'ai trouvé dans aucun catalogue de VPC métal.
Dois-je donc aller voir du côté des rayons "rock indépendant" de la Fnac/Gibert & co.??

...car cette chronique m'a donné une irrésistible envie de dépenser mon argent...


Loufi
Membre enregistré
Posté le: 15/03/2003 à 15h04 - (2526)
Je l'ai acheté en Allemagne où je l'ai encore trouvé assez facilement.
On m'a dit qu'on le trouvait au Virgin. Mais c'est certain qu'il ne se trouve pas dans le rayon métal.
En tout cas, l'investissement en vaut la peine. Je ne m'en lasse pas, c'est tout bonnement magnifique !

langoustator
Invité
Posté le: 25/04/2003 à 23h46 - (3217)
J'avais eu un peu de mal avec la voix lors de la première écoute. Sans doute parce que seuls des disques de black tournaient chez moi à ce moment là. Mais je viens de le réécouter quatre fois cette soirée, et effectivement, c'est du tout bon. Il ne me reste plus qu'à trouver un stage payé pour pouvoir acheter quelques disques. ;)

solarfall
Invité
Posté le: 18/06/2003 à 10h51 - (4084)
Oh que oui, c'est du tout bon, une perle de douceur et d'évasion... Un album franchement génial.

heavy devy
Invité
Posté le: 27/06/2003 à 13h49 - (4225)
au fil des ecoutes la magie dredg a agi et je peux dire que mainteant je suis foutu...tres bon album envoutant , psyché et dont l'evasion est la maitre description qui s'impose a l'ecoute de cet album

Joss
Invité
Posté le: 23/07/2003 à 12h57 - (4548)
Pour ceux qui cherchent encore comment trouver cet album (moi je ne l'ai vu dans aucun magasin) je signal qu'il est en vente sur Amazon.com et à moins de 15 euros en plus...(pas de frais de port si on fait une commande de plus de 20 euros...)

j'espère que cette info sera utile a certains :-)

HELLHAMMER
Invité
Posté le: 16/08/2003 à 18h41 - (4923)
Trop bon cet album il tourne en boucle depuis 2 semaines

Joss
Invité
Posté le: 20/01/2004 à 12h18 - (6825)
Allez comme je suis en pleine écoute de l'album je poste mon petit commentaire 6 mois après la découverte de ce disque...

Donc cet album est effectivement magnifique, 6 mois après sa découverte on continue de découvrir des choses, on ne s'en lasse pas. En tout cas ça parait dingue que ce groupe ne soit pas plus connu que ça car il a le potentiel pour séduire un très large public...En tout cas voilà un disque que je peut passer lors de soirées sans risquer de me faire jeter ;-)

Merci Uriel pour la découverte


...encore...;-)

Ender
Invité
Posté le: 18/06/2004 à 20h48 - (9192)
si jamais certains le cherchent encore, je l'ai trouvé chez gibert musique à saint michel, neuf en import à 11.89€ !!
Ca fait du bien d'avoir le vrai après les mp3, je suis en paix avec mon âme, piller une telle perle était un crime !

pearly
Membre enregistré
Posté le: 14/12/2004 à 14h06 - (12087)
toujours à gibert....
quelle chronique !!!!
quel album !!
PARFAIT

meshujira
Invité
Posté le: 02/05/2005 à 17h34 - (15352)
une des plus belles chroniques qu'il m'ait été l'occasion de lire, et qui rend parfaitement justice à la teneur de ce petit chef-d'oeuvre concocté par les surdoués dredg...indispensable!

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