Derrière le sobriquet passe-partout de Dissimulation se dissimule un groupe tout droit originaire de Lituanie, et signé sous ce qu’on imagine être le label phare local, Ledo Takas, qui nous avait exporté une des révélations VS de l’an passé en la personne d’Obtest (cf. la kronik de Loufi : http://vs.dead-inside.org/klistegal.php3?titre=Obtest&cache=ok). Bien que Dissimulation soient loin de réitérer la performance assez stupéfiante de leurs compatriotes, ils sont un signe supplémentaire de la vitalité de la scène extrême dans ce pays d’industrie lourde qui fut en son temps l’un des premiers à s’extirper du léviathan soviétique (indépendance proclamée dès 1991). La première chose qui marque sur cet album c’est son artwork, entièrement réalisé à base de photos prises à l’occasion de cérémonies d’enterrements. Ces pénétrantes images de deuil collectif et monochrome ou ces cercueils ouverts exposant les défunts dans leurs ultimes postures installent illico un malaise explicite parfaitement en adéquation avec la malfaisance noire des lyrics, dont la traduction en Anglais (la version russe est également dans le livret) est maîtrisée et allusive. Animés d’intentions ouvertement hostiles et d’un intérêt inexistant pour les détours dans la délivrance de leur message, Dissimulation s’emploient pendant 11 titres à façonner à chaud un dark metal incisif quand ce n’est sauvage, agrémenté de cassures à angle droit et de résidus techniques sous le flux de la musique qui peuvent évoquer le Dissection à dominante death metal des débuts. Au niveau de la production, on est dans le créneau de ce que propose depuis des années la très appréciée scène ukrainienne, des pistes mixées plutôt grossièrement en une pâte sonore crue et émaciée, mais avec suffisamment de marge pour laisser respirer les mélodies, une obligation pour Dissimulation, sans laquelle leur musique dépourvue de synthés perdrait une grosse partie de son attrait. Les riffs mordants et chargés de caractère sont renouvelés avec une bonne amplitude d’un titre à l’autre, ce qui supprime l'impression de stagnation qui menace toujours ce genre d’albums. Certains passages sont épicés avec des rythmiques plus rapprochées et « groovy », un feeling thrash qui trouve son argument final dans la courte mais intense reprise de Kreator (« Tormentor »), expédiée avec hargne et sans cérémonie. Si l’on excepte une paire de sections isolées où le tandem guitares-batterie est mis en exergue dans un souci démonstratif probant mais loin d’être capital, le vocaliste est de permanence au front de la bataille et il ne se passe pas cinq secondes sans qu’il sulfate une rafale de ses vociférations qui ne sauraient être plus crayeuses et torturées, sauf peut-être si un esprit farceur venait à promener un épluche-légumes sur ses cordes vocales. En définitive il n’y pas grand chose à discuter sur un pareil album, que ce soit sur le fond ou sur la forme. La cohésion de l’ensemble et la ténacité avec laquelle les musiciens repartent à l’assaut après chaque tournant tactique font de « Maras » un valeureux escadron d’artillerie qui fera bien des victimes avant de rendre les armes. Dissimulation achoppent néanmoins sur des limites qui sont ni plus ni moins celles de leur style, à savoir un gros effet bourrage de crâne mal atténué par la pénurie de clarté dans des lignes instrumentales plus vulgairement empilées que méthodiquement superposées, et puis aussi une certaine rigidité au mariage des genres comme en atteste l’échec pénible des quelques tentatives pour greffer du chant folklorique. L’album aurait en fait mérité un traîtement plus occidental pour faire ressortir davantage ses qualités. S’il y a peu de chances que « Maras » bouleverse les destinées de ses pères, il ne fait aucun doute que les inconditionnels de groupes tels que Deströyer 666, Desaster ou bien encore Carpathian Forest tiennent là une piste à approfondir sans tarder.


Rédigé par : Uriel | 12/20 | Nb de lectures : 7138