En 2001, la Hollande devenait l’autre pays du Brutal Death grâce à PYAEMIA puis DISAVOWED, deux groupes frères qui sortaient des albums fortement influencés par SUFFOCATION. Certains les ont considérés comme des groupes en filiation directe avec les piliers du Death américain. D’autres n’y ont vu que des clones un peu falots du géant alors en sommeil. Les premiers ont aimé le groove, la puissance et le feeling qui suintaient abondamment de « Perceptive Deception », les autres ont hoché gravement la tête avant d’aller mosher sur les blasts tectoniques du testament « Despise the Sun », tout en attendant des jours meilleurs (certains patientent toujours…).
Il est évidemment réducteur de diviser les réactions des fans de Brutal Death à la sortie de « Perceptive Deception » de façon aussi manichéenne, mais les écoutes successives de « Stagnated Existence » qui tourne depuis quelques semaines dans mon juke-box m’ont replongé dans cet état d’esprit partagé.
En effet, si je fais partie des inconditionnels de « Perceptive Deception », j’ai cette fois été l’objet d’opinions contradictoires au cours de la préparation du texte merveilleux que vous êtes en train de dévorer fiévreusement, opinions dont il convient de rendre compte puisqu’elles correspondront sûrement aux avis partagés que devrait susciter l’arrivée tant attendue de « Stagnated Existence » dans les bacs (ouf !).

Car oui, tant attendue ! Il aura fallu 6 ans à DISAVOWED pour accoucher de ce nouvel album messianique. Les problèmes de poignet chroniques de Robbe V, le cogneur de fûts émérite de « Perceptive Deception », ne sont sûrement pas étrangers à ce long délai. Le groupe, fidèle à son batteur, a attendu que celui-ci déclare forfait pour lui trouver un successeur définitif en la personne de notre métron-homme national : Romain Goulon.
Master Goulon officiait déjà dans ARSEBREED, sorte de projet parallèle à DISAVOWED où l’on retrouve (entre autres) le guitariste Daan von den Broeck qui a donc aussi joué les transfuges. Visiblement, ce remaniement ministériel a eu une importance capitale dans l’évolution de DISAVOWED car les deux musiciens marquent, chacun dans son domaine, l’inspiration de ce nouvel album.

Disons le franchement, les premières écoutes de « Stagnated Existence » m’ont déçu. Je m’attendais à retrouver le groove, les rythmiques marteaux-pilons qui ont très subtilement mais efficacement réduit en miettes plus d’une vertèbre de fan lors des concerts du groupe. Or la première impression que donne DISAVOWED ici est plutôt celle d’un groupe de Brutal Death comme il en existe beaucoup aux USA : technique, plat et sans originalité. On a autrefois qualifié le groupe de clone de SUFFOCATION et l’on retrouve des années plus tard un DEEDS OF FLESH nourri à la testostérone bulgare.
Les raisons de ce sentiment initial sont notamment dues au son : très propre, équilibré (on discerne bien tous les instruments, même la basse qui est souvent le parent pauvre du Brutal Death)… trop propre en fin de compte. Robbe K qui s’occupe du micro et des manettes sur cet album délivre une production qui manque de relief et de mordant, chose que l’on peut aussi reprocher à DEEDS OF FLESH.

Les Californiens ayant commis quelques albums mémorables, la comparaison n’est pas non plus une diatribe féroce à l’encontre de « Stagnated Existence ». Au fil du temps, l’album qui est difficile à appréhender se révèle au contraire passionnant car le travail de composition est tout simplement phénoménal. S’il faut faire le deuil de l’efficacité de crotale que montrait DISAVOWED sur « Perceptive Deception », chose que certains ne pardonneront peut-être pas, les rythmiques conservent encore l’aspect catchy d’antan mais se trouvent sublimées par le déluge de riffs techniques et hyper-travaillés qui constituent l’essentiel de l’album. Le trio guitare-basse-batterie est en symbiose comme si la complexité et la difficulté des morceaux ne faisaient que couler de source (tumultueuse, la source). Chaque instrument est intriqué dans la trame musicale plutôt que de servir de support au rythme ou à la mélodie.
« Stagnated Existence » est donc compact et complexe. L’oreille est constamment sollicitée par la brutale finesse, les rebondissements perpétuels de chaque composition. Une telle performance doit sans doute beaucoup à Daan von den Broeck dont on reconnaît parfois le style issu d’ARSEBREED et à Romain Goulon, le « sick drummer » qui fournit ici un travail magistral. En plus des stéréotypes « blasts », « gravity blasts », etc qui sont le lot commun de la scène il est très fréquent de trouver des contre-temps, des descentes, des jeux de toms et de cymbales qui se placent en contrepoint des tempos sauvages et des envolées guitaristiques.
Passionnant donc, et ce jusque dans les textes philosophiques qui servent de support aux grognements bestiaux de Robbe K. DISAVOWED est l’un des très rares groupes à proposer aux auditeurs des paroles qui ne le prennent pas forcément pour un boucher décérébré en vacances en Tchétchénie, même si elles sont bien sûr pour la plupart inaudibles. Petite déception là aussi, Robbe K qui est l’un des vocalistes les plus impressionnants de la scène Brutal Death, de par son flow saccadé et sa puissance percutante, a audiblement souhaité retrouver un style plus « naturel » et dépouillé. Encore une fois, le groupe y perd en efficacité et il faudra se contenter des prochaines tournées pour retrouver le chauve hurleur dans toute sa splendeur.

Durant ces six longues années, DISAVOWED a radicalement changé, suivant en cela l’évolution du Brutal Death qui a vu dans l’intervalle l’avènement de groupes ultra-techniques. « Stagnated Existence », sans forcément susciter la controverse (on parle d’un style underground, tout de même), est un album paradoxal qu’il faut prendre pour ce qu’il est : un excellent album de Brutal Death technique, tout en oubliant les références antérieures. Hevig 2013!!


Rédigé par : La Myxine | 17/20 | Nb de lectures : 12580