« I'm the definition of Toxic. Anyone who ever got close to me got sick. ”
Ce sample, issu d’un morceau du groupe de hip hop Jedi Minds Tricks, résume parfaitement l’ambiance et l’influence de cet album hors normes sur celui qui l’écoute. Cet album n’aborde que des thèmes qui ne me touchent pas et me font gerber, mais, pourtant, je ne peux m’empêcher de l’écouter encore et encore. Est-ce que j’aime cet album ? Je dirais que non. Enfin oui j’aime me le passer mais après la petite heure de musique je me dis que je ne devrais pas écouter ça. Mais je recommence. Encore. Et encore. Et encore… drôle de paradoxe donc, mais qui a le mérite de mettre en lumière les gros morceaux de talent qui composent « A.N.T.I ». Pourquoi cette relation amour/haine alors ? Parce que cet album est malsain, dérangé, dérangeant et dégueulasse mais, en même temps, c’est un putain de sacré bon album extrêmement addictif pour tous ceux qui oseront y sauter à pieds joints. Quitte à se faire éclabousser ou gicler dessus. Pourquoi l’écouter alors ? Parce que j’aime repousser mes limites, explorer des univers totalement opposés au mien et parce que, artistiquement j’aime être bousculé et secoué. Avec « A.N.T.I » j’y trouve mon compte à tous les niveaux.

C’est très difficile de parler musique uniquement quand on est en présence d’un album comme celui-là tant elle semble ne faire qu’un avec le texte. Pêle-mêle on peut y retrouver de la déclamation, du rock, du chant juste, du chant faux, de l’expérimental, du flow hip hop, des instrus hip hop, des samples, des cris, des chœurs, des voix trafiquées, de l’indus et aussi de vrais instruments. Par contre pas de traces de metal, hardcore, black et autres musiques extrêmes. Cette absence est voulue et revendiquée à l’intérieur même de l’album, dans le titre « A.M.A.C.C » sur lequel Stephen Bessac (il me semble) égraine les crédits musicaux de l’album et annonce qu’« ils voulaient absolument s’éloigner un maximum de leur bases metalliques étouffantes et stériles. » C’est chose faite. Et bien faite. Mais l’album n’en est pas moins étouffant pour autant. Ou non. Pas étouffant. Plutôt moite comme une chambre de passe de Manille ou Bangkok dans laquelle un ventilateur décrépit tente vainement de rafraîchir l’atmosphère. Textuellement, Toxic aborde des thèmes croquignolets tels que la drogue, l’alcool, le sexe, la pédophilie, la haine, la violence. Le tout dans une ambiance empreinte de misanthropie, de nihilisme et de satanisme urbain. La plupart des morceaux sont construits sur d’excellents textes, on trouve énormément de mots d’auteurs (« Le Mal avec un grand S », « Je suis mort depuis l’œuf et de l’amour je suis veuf ») ou d’invention stylistique comme sur « Ennui » titre sur lequel Toxic énonce, à rebours chaque année passée depuis sa naissance. Ça semble étrange au premier abord mais ça marche parfaitement et l’effet est réussi.

Une partie de l’appréhension de « A.N.T.I » réside dans l’acceptation que chacun se fera des textes, parfois très limites. Perso j’ai du mal avec le titre « A.M.A.C.C » et sa description d’un amour ouvertement pédophile entre un homme et une fillette. Ce passage me met un peu mal à l’aise et je ne sais toujours pas dans quel sens le prendre. Si musicalement ça ne tenait pas la route, j’aurais été le premier à balancer ma bile sur ce disque mais là où c’est balèze c’est qu’il est presqu’inattaquable à ce niveau-là. Pourtant, je suis loin d’être un fan du groupe vu que j’avais vite balourdé les précédents albums du DIAPSIQUIR avant celui-ci. Mais il semblerait que l’arrivée de Pascal ait fait énormément de bien au projet en le structurant et lui apportant une vraie assise musicale stable et définie. Ça n’en fait pas un album grand public ou mainstream pour autant mais de toute la discographie du groupe, il est de loin le plus accessible, à condition bien sûr d’enlever ses œillères et d’être un minimum ouvert aux sons non métalliques sans quoi vous pouvez largement passer votre chemin. Donc oui musicalement, le disque est vraiment très très bon. Le travail de composition est excellent et les instruments sont parfaitement gérés et apportent un côté très organique à la musique. Si le talent guitaristique de Toxic n’est plus à prouver, ici il expérimente d’autres types de jeux et de styles qui à chaque fois tombent juste. Il se permet même le luxe de composer quelques riffs hyper catchy qui, dans un autre registre ou contexte que celui-ci pourrait servir de base à un tube rock. C’est notamment le cas du riff d’ouverture d’« Ennui » ou de « Peste ». Deux titres sur lesquels il faut saluer l’extraordinaire travail sur la basse. Ces deux morceaux font d’ailleurs partie des meilleurs d’un skeud qui en compte une bonne pelletée.

Parmi les franches réussites il faut citer « Fais-Le » qui débute par un riff de guitare triste et désabusé, vite rejoint par une basse grondante, un texte inspiré et un refrain vocal qui, effectivement, donnerait presqu’envie de le faire. Un titre, sur lequel on retrouve de la trompette et tout un tas d’autres choses, qui, à lui seul, résume l’album tout entier. Nihilisme, misérabilisme, misanthropie et inventivité musicale (ahhhh cette guitare lancinante en fond…). Mais le meilleur morceau de l’album reste pour moi un « Avant » carrément hip hop dans l’esprit avec une instru parfaite rehaussée d’un riff de guitare en chute libre et un excellent featuring vocal de Stephen Bessac de Kickback. Un hip hop noir, sombre et déglingué, pas du Booba ou du Seth Guecko quoi, qui laisse imaginer les ravages que pourraient donner un projet 100% rap signé DUAPSIQUIR. Puis ce n’est pas tous les jours qu’on entend « Gloire à Satan » sur un titre de ce style, alors rien que pour ça…

Maintenant « A.N.T.I » n’est pas exempt de défauts non plus. 13 titres c’est trop, passé « Jet » l’intérêt décroît et les titres « Kmkz » et « A.M.A.C.C » paradoxalement plus touffus et bordéliques convainquent moins. Par un manque de cohérence d’une part et une musique et des textes moins intéressants d’autre part. Du moins en ce qui me concerne. L’album aurait été parfait sans ces deux titres, les plus longs du disque en plus, qui amènent une sensation de « trop plein » et de longueurs alors que jusque-là tout s’enchaînait parfaitement. Puis « A.M.A.C.C » est vraiment très glauque avec son chœur d’enfants et l’interprétation de Toxic, criante de vérité, ce qui rend la chose d’autant plus glauque. L’impression est identique à la scène finale de « Seul Contre Tous » ou à la lecture d’un livre de Peter Sotos qui, tous deux, brassent des thèmes similaire d’ailleurs. Si on veut du poisseux et de noir, c’est vers ces œuvres qu’il faut aller. On sent d’ailleurs que Toxic puise son inspiration ailleurs que dans la musique, dans le cinéma et la littérature. Bien sûr pas chez Dany Boon et Marc Lévy mais dans des œuvres bien moins grand public et recommandable. Le film « Angst » ou le cinéma de Jorg Buttgereit par exemple. Puis on peut entendre, sur l’outro un sample composé par le grand Stelvio Cipriani pour le film « Le Grand Kidnapping ». Une preuve de goût donc.

« A.N.T.I » est fortement autobiographique, en tout cas il s’en donne l’air, vu l’emploi de la première personne dans les lyrics, et en possède la sincérité. On peut bien sûr trouver ce déballage malsain ou n’avoir rien à foutre de la vie d’un pauvre type, ce qui est parfaitement compréhensible, mais on ne peut nier le talent du bonhomme. On connaissait ses capacités de guitariste et de compositeur, on découvre, avec « A.N.T.I » que l’homme possède aussi une belle plume. Le disque prend la forme d’un biopic mais musical. Un album vrai, honnête, sincère et humain. Presque trop même ce qui suscite le malaise tant il est difficile de délier la réalité du fantasme dans tout ce déballage de drogues, de sexe et de haine en tout genre. La France que vous détestez ? Ouais complètement. Alors comme ils le disent si bien « A la gloire de l’Anti. A la gloire du contraire ! Gloire à Satan ! »


Rédigé par : Seb On Fire. | 16/20 | Nb de lectures : 19795