Il y a des groupes qui ne savent pas évoluer. Qui font, refont encore et toujours le même disque. Ils polissent leurs riffs, tournent et triturent les structures dans le but de toucher à la perfection ultime de leur style, de trouver la pierre philosophale musicale, voire tout simplement d’exploiter un bon filon. On peut imaginer sans peine ces groupes se faire descendre par la critique, toujours prompte à stigmatiser l’absence de renouvellement. Je l’ai sûrement déjà fait. Méat coule pas. Puis-je citer un seul de ces groupes ? Franchement, non, mais pour une fois, j’aurais bien aimé dire cela de DECREPIT BIRTH.

“Prelude to the Apocalypse” la première promo du groupe était très prometteuse. Du Brutal Death rapide, complexe, technique... un ex-DEPRECATED aux guitares, Kevin Talley aux sticks. Du lourd. Un an plus tard, votre serviteur encensait de sa prose fleurie “...And Time Begins”, tandis que le Parrain de VS, pourtant détenteur du bon goût universel (hosannah! etc...) le descendait sans vergogne. Exit Talley. Pour apprécier “...ATB”, il fallait d’abord passer au-dessus de la prod et du “jeu” stéréotypé au possible de Tim Yeung qui, à eux seuls, plombaient ce disque. Certes, “... And Time Begins” est brutal, mais c’est surtout un bijou de Death cryptique, précis, à la fois cérébral et viscéral. DECREPIT BIRTH accède immédiatement au stade de groupe culte de la côte ouest, aidé en cela par le départ de Derek Boyer pour SUFFOCATION.
Après 5 ans de travail et moult péripéties de line-up, DECREPIT BIRTH est de retour avec “Diminishing Between Worlds”. Cet album est la prolongation conceptuelle du précédent mais les comparaisons s’arrêtent là, car musicalement “... ATB” et “Diminishing...” n’ont que peu de choses en commun. Tant mieux pour certains (hein Tonton?)! Je fais partie des autres, ceux qui courent nus dans la neige aux heures de pleine lune en se griffant la peau du scrotum tout en espérant qu’une douleur chasse l’autre. DECREPIT BIRTH opère en effet une régression électriène (ou électricienne?) en montrant une farouche envie de copuler avec Papa DEATH et cousin CYNIC, voire éventuellement de se taper la famille Techno Death au grand complet. Un malaise freudien qui pourrait diviser le public.

Dès l’ouverture de “The Living Doorway”, la métamorphose est évidente. “Diminishing Between Worlds” fait la part belle aux guitares. 6 cordes en guise de moelle épinière frissonnante, travaillées avec lyrisme, virtuosité et émotion. Chaque composition est une architecture complexe de riffs techniques et ultra mélodiques qui s’enchevêtrent avec des sections plus violentes, tantôt tourmentées et sombres, tantôt dynamiques et d’une lumineuse efficacité. Il est impossible de nier l’énorme influence de DEATH dans ces harmonies énergiques, violentes et désespérées, influence qui pourrait être qualifiée de bien trop évidente voire caricaturale par moments.
La batterie de KC Howard, le talentueux cogneur d’ODIOUS MORTEM (à l’origine), offre un support rythmique parfait en s’adaptant à chaque ligne. On la sent néanmoins légèrement trop en retrait et on peut regretter que la finesse et la créativité du gaillard ne soit pas exploitée durant les 11 compositions de l’album comme elle l’est dans “Essence of Creation”, le morceau de bravoure de “Diminishing...”. De la même manière, la production très lisse, assez artificielle (on parle de Death US...) et manquant largement de volume ne met pas en valeur la voix de Bill Robinson qui sonne même assez poussive de temps à autres. Pour clore le chapitre des regrets personnels, l’abondance de soli -qui font pourtant preuve de virtuosité- nuit à la densité de l’album et tiennent parfois de la démonstration, comme si Sotelo était frustré de n’avoir pu tout à fait éclabousser de son talent l’opus précédent...

“Diminishing Between Worlds” n’est donc pas exempt de défauts. Quel album peut vraiment prétendre l’être ? Avec le temps, il se révèle surtout d’une richesse incroyable. Une profusion telle qu’il est difficile d’en faire le tour en une chronique et qui, même en se montrant exigeant, rend caduques les mauvaises vibrations initiales.
Matt Sotelo, chef d’orchestre génial, crée un équilibre entre harmonie et précision, technique et brutalité en donnant l’impression que chaque note mène à la suivante dans une logique proche du fatalisme. Un instrumental comme “The Enigmatic Form” semble par exemple capter puis incarner l’essence d’une large gamme d’émotions qui se succèdent comme les chapitres d’un roman.
Enfin et contre toute attente, l’aspect rageur et viscéral d’”...And Time Begins” n’est pas non plus délaissé. Outre la reprise de la cinglante chanson éponyme du premier album, la seconde moitié du disque se révèle bien plus pesante : les dévastatrices “Through Alchemy Bound Eternal” “Essence of Creation” et “Await the Unending” explosent en un bouquet final qui laisse l’auditeur pantois, ivre et désorienté.

A la première écoute, “Diminishing Between Worlds” surprend, en bien ou en mal ceux qui connaissaient la première facette de DECREPIT BIRTH. “...And Time Begins” explorait l’univers du Brutal Death en s’imposant comme l’une des références du genre. Les 5 ans qui séparent les deux albums ont permis au groupe d’évoluer, de se tourner vers des horizons moins sombres et plus techniques. Une mutation entre des mondes différents qui hisse “Diminishing Between Worlds” au statut d’album Death Metal incontournable et qui ne laisse qu’un espoir : que DECREPIT BIRTH n’attende plus aussi longtemps avant de carboniser à nouveau nos tympans.


Rédigé par : La Myxine | 18/20 | Nb de lectures : 14938