DECAPITATED ou une des plus grandes tragédies qui ait touché un groupe de Metal extrême. Le talentueux groupe polonais, remarqué par la jeunesse de ses membres à la sortie de Winds Of Creation (2000) et par la qualité de son death technique, aura connu un sévère coup d’arrêt en octobre 2007, alors que la popularité du groupe ne faisait que s’accroître après la sortie des excellents The Negation (2004) et Organic Hallucinosis (2006). Un terrible accident de tour-bus en Biélorussie causera le décès du batteur Vitek et de graves blessures au chanteur Covan, accident qui sera suivi par une vague de soutien sans précédent au sein des aficionados de Metal extrême. Un énorme coup de massue pour le guitariste Vogg, frère de Vitek, qui se retrouvera très vite seul après le départ du bassiste Martin, alors que son groupe venait à peine de signer chez Nuclear Blast ! Vogg décida de mettre DECAPITATED en sommeil indéfini en mai 2008, pour le réactiver quelques temps plus tard avec un line-up tout neuf, dans le but d’enregistrer un nouvel album. Krimh (THORNS OF IVY) a donc la lourde tâche de remplacer Vitek derrière les fûts, et Rafal « Rasta » Piotrowski (FORGOTTEN SOULS, KETHA) prend le micro laissé vacant par Covan, devenant le troisième chanteur de la carrière de DECAPITATED. La basse aura été tenue épisodiquement par Heinrich (MASACHIST, VESANIA) ce dernier ayant quitté le groupe il y a peu, mais il aura été de l’enregistrement de Carnival Is Forever, 5ème album du groupe plutôt attendu après tous ces remous, et premier album des polonais à sortir chez Nuclear Blast comme prévu…

Après avoir été plus ou moins taxé de CANNIBAL CORPSE en plus technique pour ses premiers efforts, DECAPITATED avait évolué à sa manière, quitte à désappointer une partie de son auditoire avec Organic Hallucinosis, jugé trop moderne ou trop aventureux. Eh bien Carnival Is Forever enfonce le clou, le groupe jouant à fond la carte de la modernité et poussant son évolution dans ses derniers retranchements. Certes, la composante « death » du death technique de DECAPITATED s’estompe de plus en plus, mais le groupe choisit de poursuivre ses changements stylistiques pour devenir moins démonstratif (Organic Hallucinosis l’était beaucoup, mais pas dans le mauvais sens du terme attention) et bien plus accrocheur, plus direct mais toujours aussi fouillé et impressionnant de maîtrise technique.

Malgré tout, Carnival Is Forever reste dans la lignée de Organic Hallucinosis et ceux qui ont fortement apprécié ce dernier seront en terrain connu. On ne reprend pas les mêmes et on recommence : metal technique très véloce, avec une prod d’enfer (pas chez les studios Hertz cette fois-ci, l’album a été enregistré au studio RG et mixé par Daniel Bergstrand), structures complexes mais qui passent comme une lettre à la poste, maîtrise instrumentale de haut vol avec des riffs inspirés et un jeu de batterie de perfectionniste. Il y a à boire et à manger sur cet opus, avec un départ en trombe grâce à l’excellent "The Knife" aux riffs variés et incisifs à souhait, un enchaînement exceptionnel "Homo Sum" (très sombre) - "404" (petit bijou de modernité avec même des passages à la GOJIRA) - "A View from A Hole" (avec une intro acoustique inattendue et des parties de guitares carrément impressionnantes). Ajoutons à cela la courte mais excellente "Pest", mais Carnival Is Forever n’est pas forcément parfait de A à Z, la faute à un "United" plutôt bon mais assez bizarre (surtout au niveau du chant, j’y reviendrai après), à un morceau-titre qui se traîne un peu trop en longueur pour pas grand-chose (tout comme "Revelation of Existence" sur Organic Hallucinosis) et à une outro 100% acoustique ("Silence") jolie mais un peu inutile, musicalement car il est possible que cette plage soit une sorte de « requiem » pour Vitek. Mais quoi qu’il en soit DECAPITATED nous montre qu’avec ce disque, il est capable de composer des morceaux immédiats, sans sombrer dans le déluge de technique à tout prix. Carnival Is Forever est, au bilan global, un album terriblement efficace et accrocheur avec des pièces vraiment fortes qui se logent dans le cortex pour ne pas en ressortir de sitôt.

Quelques petits mots sur le nouveau line-up utilisé pour Carnival Is Forever, petits changements qui font toute la différence, pour le meilleur et pour le pire. Le plus gros dossier est celui du chanteur Rasta, aux vocaux qui tranchent totalement avec ceux, assez monocordes, de Sauron et Covan (je n’ai jamais pu piffrer le premier, à tel point qu’il me flingue toute l’écoute des trois premiers albums). Son chant est nettement plus varié, donnant du coup un souffle nouveau à l’art des polonais (pour moi, le chant sur Organic Hallucinosis était tellement inutile que l’album aurait gagné à être totalement instrumental). Capable de passer à des cris plus aigus vers des vocalises plus rauques, il rend la musique de DECAPITATED plus digeste et contribue beaucoup à l’aspect plus accrocheur de Carnival Is Forever. Mais certains de ses accès un peu trop « core » vont faire hérisser des poils de bras, en particulier sur "United" ou certains de ses screams sont franchement trop en décalage. Pour le reste, son ton plus sombre sur "Homo Sum" rend ce morceau particulièrement pesant, et sa prestation globale est à mon sens plus que correcte. L’autre cas important, c’est celui du batteur Krimh. Il fait son boulot sans accroc, se présente également comme un batteur de premier choix, mais sur la durée il s’avère tout de même être moins subtil que son prédécesseur. Quant au bassiste Heinrich, il est difficile de juger sa prestation car la basse est très peu présente dans le mix, contrairement à Organic Hallucinosis où elle se taillait une bonne part du lion et donnait un côté ultra-groovy à l’album. Dommage…

Malgré les drames de la vie, DECAPITATED a continué à évoluer, au détriment de son aspect death « traditionnel », et signe avec Carnival Is Forever un album de Metal technique moderne de grande classe (je ne parle pas volontairement de « death » technique, même si pour moi cet album est encore death), qui sait se montrer percutant et efficace tout autant qu’il envoie au niveau des assauts techniques. Les pièces monstrueuses qu’étaient "A Poem About an Old Prison Man" et "Post (?) Organic" ne trouveront donc pas de successeur avec ce nouvel opus, mais des « tubes » exceptionnels comme "Homo Sum" et "A View from A Hole" font leur apparition et comblent le vide d’une manière différente et inattendue. Carnival Is Forever n’est pas pour autant le chef d’œuvre que j’attendais après avoir écouté le trailer sur YouTube (ils ont mis les meilleurs riffs du disque dans le trailer, les salauds), à cause de morceaux nettement moins bons, rendant cet opus plutôt hétérogène malgré sa durée de 42 minutes. DECAPITATED vient pourtant de signer pour moi son deuxième disque quasi-parfait de rang, ce qui force l’admiration, et qui donne envie de voir le groupe continuer sa route pour nous amener encore plus loin…


Rédigé par : ZeSnake | 15.5/20 | Nb de lectures : 15256