CULT OF LUNA – The Beyond (Earache/M10) - 07/02/2003 @ 09h37
Je suis seul, planté comme un piquet de tomates au beau milieu d’un immense chantier désert. Il fait nuit noire depuis toujours, un vent spectral s’engouffre entre les gratte-ciels à moitié achevés, vient lécher les échafaudages rouillés en spirales indécentes avant de venir me fouetter la face comme un enfant espiègle soucieux de s’esquiver avant qu’on lui mette la main au collet. L’odeur est celle d’un abandon jamais programmé, d’une mort soudaine, épaisse, inamovible. Je suis seul, et pourtant une menace se profile, limpide et inexorable, un souffle méphitique encore infime s’élevant de derrière l’enchevêtrement pyramidal des cadavres des grues dont le faîte cède sous la morsure des ténèbres à une hauteur vertigineuse. Quelque chose de gigantesque et d’inorganique approche, je le sais et l’attente me rend fou, quelque chose de glacial, dépourvu de cœur, dévoreur de mondes. Je me console de ma perte prochaine avec la certitude que je perdrai la raison et la faculté d’avoir mal avant que cette chose ne lève son glaive exterminateur au-dessus de ma tête et ne me propulse d’une chiquenaude vers le néant. Mais pour l’heure je suis seul, et fatigué d’avoir peur…
Caramba !!! Ca c’est de la bonne ! Moi qui m’étais juré de ne jamais me refaire une intraveineuse de Cult of Luna, je me demande s’il n’est pas temps de réviser mon jugement. Clairement, vous ne trouverez pas sur le marché beaucoup d’albums qui séquestrent leur victime dans un étau cérébral aussi ferme et suffocant. Pour leur deuxième tournée longue durée, les Suédois de Cult of Luna nous servent une généreuse cuvée de sévices sonores à entreposer dans le même cellier que les meilleurs crus de Neurosis, Isis voire Knut, soit les barons canonisés par la critique du post-hardcore sombre à tendance schizophrène.
Mais, comme le précise l’encart promotionnel accompagnant le CD, Cult of Luna n’ont de leçons à recevoir de personne, et c’est en toute indépendance qu’ils bâtissent leur propre forteresse, une construction de dimension colossale, robuste et angulaire, qui porte en sa structure les germes indélogeables de la patience, de la haine méthodique et du sang-froid qui ont été investis lors de son édification. S’immerger dans « The Beyond », c’est véritablement plonger corps et âme dans les entrailles de ce monstre tentaculaire de béton et d’acier. Sans cesse en suspension dans les courants d’air viciés d’un espace obscur aux contours écrasants, l’esprit ploie sous les assauts psychiques des rythmiques de forgeron et des vociférations désincarnées qui le frôlent à l’improviste dans le noir ou le dégomment telles des rames de TGV lancées à pleine vitesse, l’envoyant valdinguer dans toutes les directions à l’image d’une boule de flipper chétive et impuissante. Car on ne rigole pas avec un riff de Cult of Luna, on le prend en pleine face jusqu’à la commotion ou on se couche pour ne plus se relever. Le son de guitare que les Suédois injectent dans les enceintes est assez consubstantiel au groupe pour mériter une description : cinglant et recouvert d’une lourde pellicule de crasse, à la fois séisme et tronçonneuse, il produit un intéressant effet bi-directionnel, d’une part celui de sembler à la fois tomber d’une hauteur invraisemblable tel un invisible marteau astral, et a contrario celui de prendre naissance dans la poitrine et d’enfler graduellement jusqu’à exploser la cage thoracique. Dans les deux cas, la musique génère une tension immense et perpétuelle qui, comble de la perversion, fluctue entre de longues déclivités de fausse sérénité et de soudains attentats soniques dont la déflagration se propage sur plusieurs minutes, jusqu’à ce que leur agressivité pernicieuse contamine totalement l’auditeur, lui intimant l’ordre subliminal de casser quelque chose pour apaiser ses nerfs. Il est heureux que la fourniture de valeur soit rare dans mon appartement, sans quoi j’aurais pu me retrouver cruellement démuni au sortir de la thérapie de Cult of Luna que je me suis imposée pour les besoins de cette chronique…
Si l’on excepte le final « Further » qui fait figure de repos du guerrier – un repos bien agité quand même – Cult of Luna expédient les affaires courantes 9 titres durant sur des schémas tissés en fibre de chrome, étirés en longueur, qui évoquent le doom de race sans en emprunter les tonalités catacombesques ; des schémas approchants mais suffisamment rodés et tordus en tous sens pour que la monotonie quelque peu stagnante qui ne manque pas de s’installer se traduise par une jouissive accoutumance et non par un marasme. « The Beyond » agit comme un prisme qui avale les émotions de l’instant et les pulvérise en autant de réflexions évanescentes. Silence, vacarme, silence, chaos, cri, brain reset : oppression pure… Les morceaux sont d’une régularité exemplaire dans leur excellence, et on ne compte plus les sections qui déclenchent sans coup férir des torrents d’adrénaline, ni les effusions de cordes abrasées et massives qui transmettent la pulsion violente de serrer les dents jusqu’à s’en faire péter l’émail. Si vous cherchiez le stimulant idéal pour vous pousser à enfin aller égorger le chat des voisins qui miaule à la lune chaque nuit sous votre fenêtre, « The Beyond » est un éveilleur d’instincts meurtriers probablement plus indiqué que n’importe quel brûlot de true black metal.
Si le grandiose « Oceanic » d’Isis a élu domicile tout en haut de votre palmarès 2002, il n’existe aucune raison valable de vous priver de cet album qui en constitue une fructueuse prolongation dans une optique plus glauque et moins atmosphérique – ou d’une atmosphère radicalement différente.
…et à la lisière de la réalité, ma conscience s’épanche une nouvelle fois dans le reflux des agonies. Les armatures squelettiques des tours vacillent toujours dans une symphonie d’infra-sonorités pélagiques annonciatrices du désastre. Un nouveau trip commence, un jour il faudra que ce soit le dernier.
Rédigé par : Uriel | 17/20 | Nb de lectures : 11164
Mais qu'est ce que c'est que cette musique? J'avoue ne pas connaitre ce groupe et cette chronique me donne envie d'en savoir plus. Cher Uriel peux tu m'en dire d'avantage, peut-on parler de "métal urbain"? Au niveau ambiances dégagées peut-on comparer avec les deux derniers ulver "perdition city" et "lyckantropen themes" même si la trame musicale et différente? Eclaire ma lanterne.
Uriel Invité
Posté le: 10/02/2003 à 11h30 - (2107)
Euh... Non, Ulver est très loin là, quand même... Metal urbain si tu veux, enfin pas urbain comme dans Sarcelles, mais plutôt comme dans les bas-fonds de Blade Runner si tu vois ce que je veux dire :)
www.cultofluna.com
www.earache.com (pour 1 mp3)
Nekobibu Membre enregistré
Posté le: 12/02/2003 à 06h33 - (2128)
Après deux écoutes, mon verdict est le suivant : c'est pas mal, mais je suis déçu par rapport à ce que la kro m'avait fait espérer...
Peut-être une nouvelle écoute me fera-t-elle changer d'avis ?
Et comme description du style, je dirais... mmm... doom avec son grassouillet et ambiances malsaines... (je sais c'est pas beau de cataloguer, mais bon...)
LUSTUS Invité
Posté le: 12/02/2003 à 12h39 - (2133)
Ayant cet album, je trouve qu'il s'en dégage une atmosphère lourde et sombre, la musique est en quelque sorte lourde (au niveau du son )puissante et torturée.
Personnellement j'apprécie cet album, "c'est frais", ça change de ce que l'on peut écouter habituellement. J'appelerai ça du doom urbain (bien que je n'aime pas trop les étiquettes, surtout celles qui ont tendance à embrouiller plutôt que d'informer).
En bref bonne galette...
Nekobibu Membre enregistré
Posté le: 13/02/2003 à 05h31 - (2140)
Yeah, la troisième écoute fut pour moi la bonne : avec un volume confortable, dans le froid du matin naissant, j'ai pu finalement apprécier toute la puissance de ce disque !!
Maintenant je suis fan, ah ben c'est malin, ça !! ;)
Sade Invité
Posté le: 20/02/2003 à 00h22 - (2179)
Ca ressemble a ce que NEUROSIS faisait a l'epoque de 'Souls at Zero'.
dragz Invité
Posté le: 22/02/2003 à 12h20 - (2196)
oui Cult of luna ne ressemble pas à Ulver mais à des groupes Comme Neurosis, Breach ou Isis...
http://www.nobrainnoheadache.com
Loufi Membre enregistré
Posté le: 23/03/2003 à 20h24 - (2716)
Je confirme qu'on retrouve beaucoup du Neurosis des débuts sur ce disque. Ce n'est pas fait pour me déplaire et c'est assez difficile d'accès pour mériter quelques écoutes approfondies. J'adore en particulier le son de basse qui est d'une ampleur démesurée. Du super travail.
Summoning Invité
Posté le: 01/05/2003 à 20h51 - (3292)
Monstrueusement lourde et oppressante,la musique de ce combo et fait d un seul bloc,l acier.N aller point chercher de failles au sein de leur métal car aucunes aspéritées n est la pour vous faire souffler.Le port d une camisole est préconiser a l écoute de la galette , histoire d éviter quelques carnages familiaux toujours embétant a l heure de mettre à jour le CV.Bref cette ode à la suffocation est un petit régal!18/20.
heavy devy Invité
Posté le: 09/07/2003 à 17h13 - (4361)
un des groupes que j'ai le + ecouté cette année...et c'est une des meilleures surprises de celle ci pour ma part . cult of luna a deja sa patte et ce meme si on doit souvent les comparer a neurosis , ceux ci partageant la meme vision "d'apocalipse" que les suèdois , les structures des titres sont bien differents des (deja cultes) Cult of luna et de la il ne doit pas y avoir + de comparaison... 18.5!Vivement le prochain album!! Au fait quelqu'un possède la précédent?si oui comment l'a t'il trouvé?
Napalmus Invité
Posté le: 09/07/2003 à 22h10 - (4364)
Le premier album est réédité par Earache cet été.
cyanhist Membre enregistré
Posté le: 21/07/2004 à 20h56 - (9611)
ça y est je l'ai bien écouté...vraiment bien mais pour le moment je préfère le premier...
meshujira Invité
Posté le: 23/07/2004 à 17h47 - (9635)
persévère encore , cet album est une perle! j'avais deja bien aimé le 1er album mais je pense que celui-ci est un cran au-dessus encore...
cyanhist Membre enregistré
Posté le: 27/07/2004 à 13h50 - (9684)
Pour le moment je reste sur mes impressions, je l'ai écouté plusieurs fois au casque...ya pas à dire il y a de très bon morceau mais je préfère de loin le premier cult of luna.Je le trouve moins prenant et trop long.Des trucs me déplaisent dans la prod aussi mais on je vais pas saouler tout le monde avec ça.
Il est bien mais pour moi il est beaucoup beaucoup moins attirant que le premier (que je ressens beaucoup plus, les émotions sont plus écorchées et palpables).
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Caramba !!! Ca c’est de la bonne ! Moi qui m’étais juré de ne jamais me refaire une intraveineuse de Cult of Luna, je me demande s’il n’est pas temps de réviser mon jugement. Clairement, vous ne trouverez pas sur le marché beaucoup d’albums qui séquestrent leur victime dans un étau cérébral aussi ferme et suffocant. Pour leur deuxième tournée longue durée, les Suédois de Cult of Luna nous servent une généreuse cuvée de sévices sonores à entreposer dans le même cellier que les meilleurs crus de Neurosis, Isis voire Knut, soit les barons canonisés par la critique du post-hardcore sombre à tendance schizophrène.
Mais, comme le précise l’encart promotionnel accompagnant le CD, Cult of Luna n’ont de leçons à recevoir de personne, et c’est en toute indépendance qu’ils bâtissent leur propre forteresse, une construction de dimension colossale, robuste et angulaire, qui porte en sa structure les germes indélogeables de la patience, de la haine méthodique et du sang-froid qui ont été investis lors de son édification. S’immerger dans « The Beyond », c’est véritablement plonger corps et âme dans les entrailles de ce monstre tentaculaire de béton et d’acier. Sans cesse en suspension dans les courants d’air viciés d’un espace obscur aux contours écrasants, l’esprit ploie sous les assauts psychiques des rythmiques de forgeron et des vociférations désincarnées qui le frôlent à l’improviste dans le noir ou le dégomment telles des rames de TGV lancées à pleine vitesse, l’envoyant valdinguer dans toutes les directions à l’image d’une boule de flipper chétive et impuissante. Car on ne rigole pas avec un riff de Cult of Luna, on le prend en pleine face jusqu’à la commotion ou on se couche pour ne plus se relever. Le son de guitare que les Suédois injectent dans les enceintes est assez consubstantiel au groupe pour mériter une description : cinglant et recouvert d’une lourde pellicule de crasse, à la fois séisme et tronçonneuse, il produit un intéressant effet bi-directionnel, d’une part celui de sembler à la fois tomber d’une hauteur invraisemblable tel un invisible marteau astral, et a contrario celui de prendre naissance dans la poitrine et d’enfler graduellement jusqu’à exploser la cage thoracique. Dans les deux cas, la musique génère une tension immense et perpétuelle qui, comble de la perversion, fluctue entre de longues déclivités de fausse sérénité et de soudains attentats soniques dont la déflagration se propage sur plusieurs minutes, jusqu’à ce que leur agressivité pernicieuse contamine totalement l’auditeur, lui intimant l’ordre subliminal de casser quelque chose pour apaiser ses nerfs. Il est heureux que la fourniture de valeur soit rare dans mon appartement, sans quoi j’aurais pu me retrouver cruellement démuni au sortir de la thérapie de Cult of Luna que je me suis imposée pour les besoins de cette chronique…
Si l’on excepte le final « Further » qui fait figure de repos du guerrier – un repos bien agité quand même – Cult of Luna expédient les affaires courantes 9 titres durant sur des schémas tissés en fibre de chrome, étirés en longueur, qui évoquent le doom de race sans en emprunter les tonalités catacombesques ; des schémas approchants mais suffisamment rodés et tordus en tous sens pour que la monotonie quelque peu stagnante qui ne manque pas de s’installer se traduise par une jouissive accoutumance et non par un marasme. « The Beyond » agit comme un prisme qui avale les émotions de l’instant et les pulvérise en autant de réflexions évanescentes. Silence, vacarme, silence, chaos, cri, brain reset : oppression pure… Les morceaux sont d’une régularité exemplaire dans leur excellence, et on ne compte plus les sections qui déclenchent sans coup férir des torrents d’adrénaline, ni les effusions de cordes abrasées et massives qui transmettent la pulsion violente de serrer les dents jusqu’à s’en faire péter l’émail. Si vous cherchiez le stimulant idéal pour vous pousser à enfin aller égorger le chat des voisins qui miaule à la lune chaque nuit sous votre fenêtre, « The Beyond » est un éveilleur d’instincts meurtriers probablement plus indiqué que n’importe quel brûlot de true black metal.
Si le grandiose « Oceanic » d’Isis a élu domicile tout en haut de votre palmarès 2002, il n’existe aucune raison valable de vous priver de cet album qui en constitue une fructueuse prolongation dans une optique plus glauque et moins atmosphérique – ou d’une atmosphère radicalement différente.
…et à la lisière de la réalité, ma conscience s’épanche une nouvelle fois dans le reflux des agonies. Les armatures squelettiques des tours vacillent toujours dans une symphonie d’infra-sonorités pélagiques annonciatrices du désastre. Un nouveau trip commence, un jour il faudra que ce soit le dernier.
Rédigé par : Uriel | 17/20 | Nb de lectures : 11164