Six années se sont écoulées depuis Fuck the Universe. Nombreux seront les fans de Craft qui auront eu le temps de passer à autre chose, peut-être un truc plus "mature" que le black metal. Les ravages du temps, les produits cancérigènes et les maladies vénériennes auront probablement frappé les survivants qui attendaient ce Void comme leur vessie. Et ceux qui restent aujourd'hui, les vrais, les bas-de-plafond, ceux qui montrent leur bite en soirée avant de finir par s'écrouler sur la table basse, ceux-là auront de quoi être ravis. N'allez pas me trouver insultant, je m'inscris en plein avec les ados attardés pour ce coup-là.

Je n'ai jamais été un consommateur de Craft. Je ne sais pas trop pourquoi, ça ne m'a pas causé. Le côté outrancier jusqu'au débile me plaît. Mais de Fuck the Universe, je ne retiens que le titre éponyme à hurler à la lune. C'est toujours le souci avec ce genre de black minimaliste et instinctif; si on n'adhère pas aux deux riffs qui composent un titre, difficile de s'extasier. Et sur les précédents Craft, je n'ai pas adhéré. Autant dire que je ne pensais pas apprécier ce Void. Ca partait même avec le sourire narquois quand j'ai appris que les parties du batteur de session Dirge Rep (ex-Enslaved, ex-Gehenna, Secht, Orcustus et j'en passe) avaient été paumées et que John Doe avait reprogrammé une BAR pour l'occasion. Sérieusement, elle sonne très bien la bestiole. Mais ça je ne le savais pas avant de lancer la lecture du skeud.

Et étrangement, la sauce a pris, le cuir s'est tendu sous l'érection. Est-ce le léger changement de production qui les éloigne un peu de Darkthrone pour aller vers du plus massif? Peut-être qu'il suffisait de peu. Mais je pense surtout que Craft nous a sorti du gros riff de mammouth cette fois. Void est moins brut de fonderie, plus ciselé et plus lourd. L'héritage des Norvégiens est évidemment là et les accrocs des premiers hurlements plus brutaux de Craft en seront pour leurs frais. Void est très mid-tempo, faisant rouler ses mécaniques bien rock enduites d'huile de moteur usagée. Ambiance minimaliste, avec caresse de la joue à coups de râpe à fromage rouillée. Riffs martelés avec une masse de cent tonnes, s'étirant comme de la guimauve au long de plages de sable noir. Void trouve le point d'équilibre entre compos instinctives mais manifestement travaillées, son lourd et fuck-you attitude.

Dans ce genre d'opus où les riffs ne sont pas légion, il faut évidemment que l'auditeur prenne à bras le corps chaque thème pour s'approprier l'album. "I Want to Commit Murder" m'a certainement servi de détonateur pour apprécier l'intégralité de l'opus. Le titre est varié, ultra-efficace et haineux, et il donne envie de hurler ce refrain débile et génial à la fois toute la journée (reprenant le rôle décontracté de "Fuck the Universe" six ans plus tôt). Plutôt que de m'user à citer les bons passages, je vais parler du truc que j'aime moins. Je ne suis pas trop fan de la lourdeur un peu facile de la première moitié de "Come Resonance of Doom" (par contre, la seconde partie du titre est une boucherie). Je ne suis pas non plus trop fana de "l'autre" titre lourd "Leaving the Corporal Shade". Voilà, j'ai fait le tour de mes griefs dans un Void qui recèle principalement une succession de moments bien fameux. Mention spéciale au titre final et éponyme de l'album qui est juste fabuleux. Après 40 minutes de headbanging sauvage, ce long errement musical de huit minutes annonçant la fin de l'ère nucléaire accompagnera parfaitement toute descente aux enfers personnelle et obligatoirement alcoolisée. Il sera alors temps de vous écrouler sur cette fameuse table basse.

C'est pas de la musique de SxE, ça. Pas une seconde, car elle sent la bite et l'alcool et elle s'est fait poudrer le nez. Rampant, puissant, aussi grotesque que magnifique, Void est un intense défouloir, à condition d'être dans le bon mood pour l'apprécier. Ce n'est certainement pas l'album du siècle, mais il est parti pour tourner souvent chez moi. S'il n'y a qu'une chose à retenir de cette chronique, c'est ceci: à un moment donné de votre vaine existence, cet album pourra sembler parfait. Il suffit simplement de ne pas rater le créneau (les femmes sont donc déjà exclues). Ne ratez pas ce putain de créneau! Et alors, le néant de ce Void vous paraitra magnifique.


Rédigé par : Prince de Lu | 16,5/20 | Nb de lectures : 13723