Il est de ces albums dont il est très difficile, voire impossible de parler alors que, paradoxalement, il y aurait tant à en dire. "Still Nothing Moves You" est de ceux-là. Une œuvre dense à l’intensité incroyable, entraînant l’auditeur dans un maelström d’émotions indéfinissables. Violence, chaos, désespoir, colère, vitesse, lourdeur et émotions contrastées sont les maîtres mots des petites vingt et une minutes et dix-huit secondes du dernier album de CEREMONY. Après plusieurs dizaines d’écoutes, dans toutes les situations possibles. Dans le métro, au casque chez moi, en fond sonore pendant une partie de Mégadrive, en rédigeant cette chro, le soir au coucher, le matin au lever. Chaque fois que je pose mes oreilles sur cette galette le constat est le même. Je suis transporté ou plutôt aspiré par le tourbillon d’intensité sonore que propose le quintette californien. Et à chaque fois j’ai envie de crier au génie. Alors cette fois, je saute le pas et je le fais : « AU GENIE !! » Oui, "Still Nothing Moves You" est un album de génie, un petit chef-d’œuvre qui vous saute à la gueule alors que vous n’en attendiez rien de particulier. Oui, CEREMONY m’a grave séché comme je ne l’avais plus été depuis le "Colors" de BTBAM. Je remercie d’ailleurs Crown sans qui tout cela n’aurait pas été possible. Thanks buddy.

Musicalement parlant, CEREMONY se situe aux confins d’une multitude de genre. Hardcore old school, crust, grind, sludge, fastcore, power violence, postcore, experimental et bien d’autres encore. Le groupe peut être vu comme le résultat difforme mais génial d’un gang bang consanguin mettant en action MINOR THREAT, NEGATIVE APPROACH, TOTAL FUCKING DESTRUCTION, DISFEAR, BLACK COBRA et NEUROSIS. La version musicale du bébé d’Eraserhead de Lynch. Une aberration géniale, le Stephen Hawking du hardcore.

CEREMONY hurle sa rage et son désespoir à la face de qui veut l’entendre. Ross Farrar, frontman hallucinant et halluciné, sorte de petit frère psychotique de Rich Hoak, s’arrache tripes et cordes vocales, vous attrape par la gorge, vous plaque sur le sol, s’asseois sur votre poitrine et vous hurle sa haine du monde à coup de croassements diaboliques et de lyrics au cynisme noir. Cet homme est fou, ce groupe est fou, cette musique est folle et entraîne tout le monde dans son sillage.

Tout commence par un grondement, une mélopée à l’orgue, des murmures et un riff de basse répété à l’envi, de plus en vite, de plus en plus proche, un coup de cymbale, la guitare entre dans la danse et puis l’explosion « Opened my eyed with temples in strain »… Bienvenue à Arkham. Le reste navigue entre brûlots old school d’une cinquantaine de secondes et titres à la lourdeur mammouthesque envoyant l’embarcation CEREMONY naviguer dans les eaux boueuses d’un sludgecore épais et collant. On déteste ça mais on adore le détester tout comme on adore regarder les accidents routiers en espérant toujours apercevoir un bout de viande ou une flaque de sang. C’est cette même excitation qui nous fait nous plonger encore et encore dans la mixture du groupe. Un groupe reptilien qui s’adresse aux plus bas instincts humains. Les titres défilent, plus mémorables les uns que les autres : le hardcore bouillonnant de « The Difference Between Looking And Seeing », le fastcore au break pachydermique de « Eraser Making Its Way Its Only Job », le brutiste « Vagrant », le doom intrumental d’« Overcast », chaque morceau est immédiatement identifiable tout en s’intégrant parfaitement à l’ensemble. L’enchaînement des coups portés n’a de raison que s’il est perçu comme un ensemble plus grand et plus fort. Chaque morceau est un maillon de la chaîne rouillée qui se resserre toujours plus fort autour de la victime hypnotisée et inlassablement entraînée dans les abysses d’un océan de confusion.

Je n’ai jamais disputé quinze rounds contre Myke Tyson. Je n’ai jamais été pris dans un carambolage. Je n’ai jamais été emporté dans l’œil d’un cyclone tout comme je n’ai jamais sombré avec un navire mais je pense maintenant savoir quelles sont les sensations que cela peut procurer. Dorénavant, je ne crains plus la droite d’Iron Mike et je ne la craindrai plus jamais. J’ai survécu à Ceremony, j’ai remporté mon combat face à Farrar mais cette lutte m’a changé, je ne suis plus tout à fait le même homme maintenant. Tout ça en à peine plus de vingt minutes, je le rappelle.

Portée par une basse utilisée comme une guitare rythmique, la musique des Californiens gagne en lourdeur et en profondeur. Cette basse mise en avant par la production implacable de Dan Rathburn sonne le glas de l’auditeur, consentant ou pas. Toi qui entre ici, abandonne toute espérance.

CEREMONY sur album c’est une chose mais en live c’est encore autre chose. Les shows du groupe sont plus proche du happening que du gig hardcore ou metal classique. Farrar en monsieur loyal décérébré, habité, passionné, possédé par sa musique et ses idées noires, hurle, se déchire la gueule et éructe ses lyrics désenchantés. Le fil du micro enroulé autour du cou, il se lance dans une gigue païenne sombre et folle. L’homme laisse place à la bête, à cette créature hybride et géniale qui a commis ces vingt et une minutes et dix-huit secondes. Le concert laisse place à l’expérience sensorielle. Puis on rentre chez soi, on se réécoute encore et encore "Still Nothing Moves You", les yeux en sang et les oreilles bourdonnantes.

CEREMONY, groupe lovecraftien, tant il fait appel aux peurs refoulées en chacun de nous, à ces Grands Anciens baveux et rampants tapis dans les marécages de l’esprit humain. R'lyeh est l’esprit de Farrar et l’ensemble de ses déjections musicales, de quelques secondes parfois, forme Cthulhu. La Bête. La Peur. Ph'nglui mglw'nafh Ceremony R'lyeh wgah'nagl fhtagn.

Chaos. Confusion. Passion.

CEREMONY

« AU GENIE !! »


Rédigé par : Seb on Fire | 18/20 | Nb de lectures : 13358