Toujours dans la série des belles histoires du métal, voici l’incroyable épopée de CAPHARNAUM. L’histoire prend ses racines en 1993 alors que les frères Suecof, Jason et Jordan, respectivement âgés de 13 et 9 ans fondent le groupe. Dopés par l’insolence de leur jeune âge, les frangins travaillent comme des forcenés et sortent dès 1997 un premier album auto-produit, « Reality only Fantisized » qui passera quasi-inaperçu. Pourtant le techno-death, tel que le pratiquent les frères Suecof est déjà doté de qualités qui font la différence mais le destin en décide autrement. A peine quelques mois plus tard, un accident prive Jason, leader du groupe, de l’usage de ses jambes. Le rêve est brisé alors que l’aventure commence à peine à prendre forme. Loin de se laisser abattre, Jason change donc d’optique. Si ce n’est pas dans un groupe, c’est derrière les manettes d’un studio qu’il vivra sa passion pour le métal .Il monte son propre studio, l’Audiohammer. Rapidement Jason devient la coqueluche de la scène de la côte Est. Son histoire force le respect autant que la sympathie et il se lie d’amitié avec bon nombre de musiciens.
Quelques années plus tard notre histoire prend un virage décisif alors que le label manager de Sekhmet records entend par hasard des extraits de ce fameux disque auto-produit. Il contacte alors Jason avec l’idée de signer le groupe sur son label. Dans un premier temps, ce dernier explique sa situation, son handicap mais devant l’insistance de Sekhmet, Jason prend brusquement conscience du fait que son rêve n’est peut être pas si inaccessible qu’il le supposait. Jason compose et le fantasme devient peu à peu réalité. Il s’entoure alors de quelques amis pour entrer en studio : Daniel Mongrain (MARTYR/GORGUTS) assurera la seconde guitare, Mike Poggione (MONSTROSITY) la basse, Matt Heafy (TRIVIUM) se chargera des vocaux et pour la batterie, le frangin qui a désormais 19 ans reprendra sa place initiale. Tout ça nous amène à « Fractured » dont il est maintenant question.

Ok, ce disque est sorti voilà déjà un bail outre Atlantique et aurait mérité une kro bien avant mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire entrons plutôt dans le vif du sujet.

« Fractured » est un authentique album de techno-death progressif dans le sens le plus noble du terme. Les huit brûlots de cette galette présentent un métal particulièrement riche, garni de riffs innovants, surprenants, suffisamment techniques pour nous garder hors d’haleine mais qui sait également se faire accrocheur par des lignes mélodiques délicieusement échafaudées. On assiste à de véritables dialogues de guitares virtuoses, tantôt meurtrières, tantôt solistes, parfois dissonantes mais toujours inspirées. Il est clair qu’on reconnaît la patte de Daniel Mongrain qui, contre tout attente, ne se distingue pas aussi spectaculairement qu’on aurait pu le croire. Jason Suecof, outre un réel talent pour la composition, est lui aussi un excellent guitariste et la joute entre les deux protagonistes se veut passionnante. Ce duo de spécialistes de la six cordes est solidement appuyé par la performance monstrueuse de Jordan Suecof qui réussirait à faire rougir de jalousie les batteurs les plus émérites du moment. Des roulements spectaculaires, aux rythmiques proches du math-core en passant par de purs instants de grâce, Jordan est à l’aise partout, dans tous les registres, dans tous les tours de force imaginés par son grand frère. La prestation de Mike Poggione reste, elle, plus anecdotique mais le bougre connaît son affaire. Il en est de même pour Matt Heafy qui prête ici sa plume et une voix au registre hardcore/thrashy qui colle parfaitement au reste.

Côté prod, on tutoie la perfection avec un son cristallin bien équilibré qui n’abuse pas des basses. Il faut dire que lorsqu’on peut bénéficier d’un laps de temps illimité dans son propre studio, ça facilite grandement les choses et quand on confie le mastering à Jim Morris, lui-même, du légendaire Morrisound recording, on met toutes les chances de son côté.

Comme il faut un épilogue à toute histoire, voilà donc ce disque disponible en Europe. L’occasion d’acquérir une œuvre qui célèbre la matérialisation d’un rêve presque oublié, l’annihilation des frustrations d’un musicien qui se croyait prisonnier de son handicap, un hymne au courage et à la passion.

Il va sans dire qu’on entendra encore parler des prodigieux frères Suecof et de CAPHARNAUM. En attendant, voilà « Fractured » qui ouvre le second chapitre d’une histoire qui pourrait bien devenir une légende.



Rédigé par : Tonton | 17/20 | Nb de lectures : 12175