Il y a le doom, le doom death, le funeral, le drone et il y a Bunkur. Après six ans depuis le premier album et une pléthore de splits dont un avec Moss, les Bataves daignent s'extirper de leur contemplation du fond des abysses pour nous offrir à nous simples mortels le fruit de leurs expériences inavouables.

Le résultat de cette exploration est un morceau unique de 77 minutes !
Un parpaing de noirceur qui tend vers un absolu de l'extrême. Pas de guitares, un coup de baguette tous les ans, des accords monolithiques à faire trembler les murailles de la réalité, une litanie éructée dans un écrin black et les éléments du chaos se retrouvent enchaînés par un vrombissement infra-basse persistant.
Le périple dans le néant s'amorce par une fort longue ascension de 40 minutes, s'achemine vers un climax d'une vingtaine de minutes avant de s'achever par un retour à l'étape initiale.
Durant plus d'une heure, Bunkur fissure le réel pour ouvrir une brèche béante sur le néant. Ce monde noir et froid exerce toujours une certaine fascination et il est difficile de ne pas s'y abîmer en risquant d'y perdre la raison.

Ecouter "Nullify", c'est se soumettre à une expérience limite tout en apercevant les limites de l'expérience.
Cet album ne résiste qu'à une seule écoute et ce prostré dans l'obscurité. Toute autre écoute se révèlera d'un ennui absolu car les longueurs et les répétitions se révéleront assez vite insupportables. Seule la première écoute et la découverte propose une expérience tout en tension puisque l'auditeur est projeté dans un monde obscur dont l'itinéraire est inconnu.

J'ai beaucoup pensé à Malevitch et à son carré blanc sur fond blanc. Une œuvre d'une importance capital pour l'histoire de l'art mais dont l'intérêt pictural se montre limité. Après, il existe probablement quelques énervés qui s'extasient devant la réalisation d'un à-plat monochrome mais cette toile est plus un objet qui se théorise plus qu'elle se regarde. A l'instar du peintre russe, Bunkur s'est lancé dans une sorte de défi artistique dédié à l'extrémisme musical.
Il semble probable qu'on a affaire à un nouveau canon dans son genre mais ce n'est pas pour autant que cette rondelle d'une infinie noirceur aille provoquer la fonte de votre mange-disque à force de tourner. Maintenant, si vous avez la patience d'attendre une demi-heure avant d'entendre trois accords d'affilé vous finirez peut-être dans une seyante camisole.

Certes, j'ai rarement entendu un disque aussi effrayant; j'ai eu la sensation d'être absorbé par le néant malheureusement l'inflexibilité du groupe pour amener jusqu'au bout son concept, finit par transformer leur œuvre en une abstraction théorique en perdant le potentiel d'efficacité qui en aurait découlé en raccourcissant la durée.

En ces temps de crise, je ne peux que m'incliner devant le courage ou l'inconscience des labels qui osent encore sortir de tel disque.
Je dois bien avouer que juger une telle œuvre s'avère difficile cela reviendrait à critiquer la toile de Malevitch en arguant le fait que l'à-plat ne soit pas totalement uniforme ou que c'est à la portée de n'importe qui. Je maintiens qu'avec une durée réduite de moitié, on tenait un « hit » monumental capable de transcender les chapelles. En revanche, l'aspect bravache de ce concept aurait perdu sa pertinence rhétorique.
Une plongée dans le néant à tenter ne serait-ce que pour savoir jusqu'où quelqu'un peut repousser les limites de l'extrémisme musical.



Rédigé par : Dark Rabbit | ‡/20 | Nb de lectures : 12853