Souvent, si l’on veut découvrir quelques projets Black « underground » bien bonnards, il faut savoir ouvrir l’œil et le bon. C’est donc en ayant l’œil vif sur la toile que j’avais découvert le projet suisse BORGNE. Un one-man band mené par Bornyhake, également tenancier du projet de Raw Black ENOID (plutôt efficace soit-dit en passant) et batteur de KAWIR depuis peu. Après une démo et un premier album longue-durée (sans grand intérêt hélas, BORGNE n’a pas eu le compas dans l’œil) sobrement nommé II (2007), BORGNE passe la deuxième sur III sorti la même année, en nous livrant un album qui est du genre à me faire de l’œil, à savoir du Black ambiant DARKSPACE-ien du plus bel effet (notamment la loooongue piste ambiante centrale assez bluffante). Mais c’est à partir de IV (2009) que les choses sérieuses commenceront pour BORGNE, Bornyhake trouvera sur cet album sa voie en nous présentant un Black ambiant industriel dépressif et décharné, œil pour œil, dent pour dent face à l’humanité, rappelant très fortement les cultissimes MYSTICUM avec des ambiances plus forestières que sataniques. Pourtant, BORGNE effectue quand même un nouveau changement de direction musicale pour son nouveau disque non pas nommé V mais Entraves de l’Âme, sorti loin de l’œil, loin du cœur via le label québécois Sepulchral. Ayant très fortement apprécié IV puis le trailer de ce nouvel album, j’y suis donc allé l’œil fermé.

BORGNE, décidemment bon pied, bon œil, prend donc ici à fond la voie « Black ambiant » la plus pure, à grand renfort de nappes de synthé lugubres à souhait, dès l’intro "Drown in Nothingness" notamment. Et parlons-en de l’intro vu qu’elle est intégralement composée et jouée par Malefic de XASTHUR. Un autre invité de marque figure sur Entraves de l’Âme, c’est CZ de VINTERRIKET qui a composé l’outro "Moorwanderung". Bref, Bornyhake n’a pas froid à l’œil et s’est entouré de la crème du style « Black ambiant décharné qui dégouline de claviers », et d’ailleurs sur cet album BORGNE n’est plus un one-man band vu que quelques autres contributeurs se sont greffés au projet (un guitariste et un autre claviériste notamment). Bref, à vue d’œil ça s’annonce déjà plutôt intéressant pour les amateurs du style.

Mais après un rapide coup d’œil, rien à voir avec le Black dépressif lénifiant de XASTHUR ou les plages atmosphériques interminables de VINTERRIKET ici, BORGNE a l’œil en face du trou et reste strictement Black-Metal avec des riffs incisifs qui font toute la différence. On aura donc ici une bonne dose d’assauts Black acérés, sombres et lancinants sans y aller à l’aveuglette en tombant dans la répétitivité des clones de BURZUM qui ont tendance à me sortir par l’œil. Les leads cristallins sont en bonne place pendant les 41 minutes que dure Entraves de l’Âme, et BORGNE n’a pas eu l’œil plus gros que le ventre avec des plages à durée plutôt longue (7-8 minutes) mais qui vont à l’essentiel, portées par des paroles suicidaires à souhait. Bien évidemment, les nappes de synthé font l’œil doux et sont en bonne place tout du long de l’album mais leur placement est parfaitement cohérent et réussi et les sonorités donnent un souffle épique au disque, tout en assurant les ambiances nocturnes ("Die Trying to Take Off the Rope"). Les compos tiennent franchement la route (de même que les passages en guitare acoustique), le chant est plutôt sombre et menaçant que criard et la prod est à l’avenant, saturée mais pas trop et parfaitement adaptée au style, BORGNE n’a vraiment rien d’un projet DSBM pseudo-true de seconde zone. Entraves de l’Âme se déguste d’une traite mais des morceaux comme "Tainted Utopia" avec son départ sublime et son développement d’ambiance à couper le souffle (les leads sont géniaux), et "The Plague" délicieusement dépressif avec ses montées de synthé sur fond de blasts et leads particulièrement prenantes, sortent clairement du lot sans pour autant jeter de la poudre à l’œil.

Ça saute à l’œil, l’originalité n’est pas de mise ici, mais pour moi BORGNE est clairement un petit projet qui mérite vraiment le détour. L’ambiance lugubre et forestière de Entraves de l’Âme est tout simplement magnifique avec une utilisation des synthés à la perfection, en plus des compos assez accrocheuses pour le style. BORGNE a failli se mettre le doigt dans l’œil et ne transformera certes pas l’essai de IV dont le Black industriel d’une froideur glaciale promettait beaucoup, mais s’offre avec Entraves de l’Âme un album classique mais ô combien prenant, même si on en a vite fait le tour. Mais arrêtons de voir les choses d’un mauvais œil, il suffit juste d’apprécier le travail sur les atmosphères réalisé au sein de ce très bon album qui ne coûte pas l’œil de la tête. Certains fermeront peut-être les yeux en croisant ce projet, mais cela ne posera pas de problème car c’est bien connu, au royaume des aveugles, BORGNE est roi.


Rédigé par : ZeSnake | 15/20 | Nb de lectures : 14934